Traverser la Manche à la nage pour la recherche contre le mésothéliome : l’exploit de Véronique
En septembre 2011, Véronique Fresnel-Robin avait vécu douloureusement le décès de son père d’un mésothéliome. Dix ans après, elle s’était fixé un défi un peu fou : traverser la Manche en solo. Pour une maman cinquantenaire qui n’avait repris l’entraînement qu’en 2015, après avoir arrêté la natation pendant 28 ans, le défi était vraiment impressionnant. Véronique voulait médiatiser l’événement au service d’une grande cause : soutenir la recherche sur le mésothéliome menée au CHU de Lille par l’équipe du Pr Arnaud Scherpereel. Le 20 septembre 2022, après deux ans d’attente et maintes péripéties, elle a traversé la Manche à la nage en solitaire. Partie à 4h50 du matin pour nager 42 kilomètres dans une eau à 18°, elle est arrivée à la nuit tombée après 16h43 d’efforts. Pour nous, elle revient sur l’ensemble du projet.
« Je voulais que ce projet ait un sens »
Andeva : Quel a été l’élément déclencheur qui a vous donné l’idée de vous lancer dans ce projet ?
Quand j’étais gamine, jusqu’à l’âge de 17, 18 ans, j’étais nageuse. J’allais souvent en vacances en Normandie et je voyais en face les iles de Jersey et Guernesey, et je me disais que ce serait rigolo d’y aller à la nage. Disons que ça me trottait dans ma tête depuis longtemps
Puis, en 2015, j’ai entendu parler d’un sportif de haut niveau qui faisait chaque jour un triathlon en faveur d’une association et invitait des amateurs à participer avec lui. Ça s’appelait le défi 41. Je suis allée nager avec lui et ça été une révélation. Ensuite je me suis mise à m’entrainer et je me suis rapprochée de nageurs qui préparaient la traversée de la Manche. Ça m’a donné l’envie de le faire. J’en ai parlé à mon entraineur de natation et les choses se sont mises en place progressivement. On était début 2016 et, au fur et à mesure de l’avancement, du projet, je me suis dit qu’il fallait que je le fasse au profit d’une cause. Je voulais quelque chose qui me parle, qui ait du sens et, assez naturellement, le thème de l’amiante s’est imposé.
Vous dites que le thème de l’amiante s’est imposé à vous, mais de quelle manière ?
Par mon père qui est décédé d’un mésothéliome en septembre 2011. Les connexions se sont faites naturellement. En plus, vers la fin de sa carrière, papa, qui était chez Alstom Transport, a travaillé sur le projet du TGV Paris Londres qui s’appelait dans sa première mouture le TGV « trans-Manche ». J’ai donc appelé mon association « Challenge trans-Manche ».
Comment avez-vous rencontré le professeur Scherpereel ?
J’ai une belle sœur qui est chercheuse à Gustave Roussy et je lui ai demandé de me trouver un centre qui faisait de la recherche sur le mésothéliome. C’est comme ça que j’ai eu connaissance du CHU de Lille et du professeur Arnaud Scherpereel. Je lui ai donc envoyé un mail, tout simplement. Je lui disais que si, par l’intermédiaire de mon projet, je pouvais contribuer à lever un peu de fonds pour la recherche, ou simplement faire connaitre cette cause, j’en serais heureuse.
Et comment a-t-il reçu le projet ?
D’une manière très enthousiaste. Il a été à fond tout de suite. Et très vite, la collaboration qui s’est créée avec le CHU est devenu une véritable amitié. On se portait mutuellement. Quand j’avais des coups de mou dans le projet, j’allais les voir et ça me reboostait. Ça me rappelait pourquoi je faisais ça. Ils m’ont aussi aidé sur le plan de la communication, pour faire connaitre le projet. Ils m’ont permis de bénéficier d’articles de presse, de communiquer avec des familles de victimes qui m’ont soutenue. J’ai eu beaucoup de messages de personnes touchées par cette maladie et j’ai gardé des liens avec certaines. J’ai aussi été contacté par d’autres associations de malades. Toutes ces rencontres m’ont aidé à créer un cercle très vertueux autour du projet.
Parlons de la mise en place finale du projet. Quels écueils avez-vous rencontré ?
D’abord, la crise du Covid a provoqué l’annulation de la première date qui avait été fixée en juillet 2020. Il était impossible de se rendre en Angleterre et il faut savoir que la traversée se fait exclusivement dans le sens Angleterre/France. Les traversées ont repris en août septembre mais je ne pouvais pas faire de report car je n’avais pas pu réaliser certaines étapes comme le test obligatoire de 6 heures dans une eau à moins de 15.5° qui permet de valider l’inscription. Et je n’avais pas bouclé non plus mon cursus d’entrainement.
Il faut savoir qu’il y deux associations en Angleterre qui gèrent ces traversées, dont la « Channel Swimming Association » qui est la plus ancienne. Ils disposent de 6 pilotes agréés. Le nageur choisit son pilote et un créneau lui est affecté. Ils s’occupent aussi de tout ce qui est logistique et administratif.
Tout cela est extrêmement réglementé. Il y a des couloirs dans la Manche réservés aux nageurs et il ne faut pas en sortir. Les créneaux sont fixés par rapport à des fenêtres météo sur une période d’une semaine. Les nageurs sont inscrits dans un certain ordre de passage. Or, il y a eu tellement de reports en 2021 qu’on pouvait avoir jusqu’à 6 personnes sur un créneau. Et il faut savoir qu’en troisième position comme je l’étais, on n’est déjà pas sûr de passer, alors en sixième…
Et l’année 2021 a été compliquée pour moi sur le plan physique. J’ai eu de gros problèmes d’épaules et mes médecins m’ont vivement conseillé de ne plus nager. C’est pour cela que j’ai décidé de reporter le projet en 2022.
Les conséquences de cette préparation rallongée jouent sur le budget qui s’alourdit. Forcément, il faut continuer les entrainements et il faut que les partenaires – diététicien, préparateur mental, etc – acceptent ces reports. Ça pèse aussi sur la famille et les amis qui apportent leur aide.
Dans les écueils, il faut aussi parler de ceux qui vous lâchent encours de route. Les personnes qui ne croient plus en vous, etc. il y a plein de difficultés comme cela qu’il faut savoir laisser de côté.
Et donc, malgré tout cela, le projet a finalement été réalisé le 20 septembre 2022. Comment avez-vous vécu cette concrétisation ?
Les accompagnateurs aussi peuvent fatiguer
Au moment où le départ se concrétise, et où on vous appelle pour vous l’annoncer, c’est l’aspect sportif qui prend le dessus. C’est le résultat de tant d’années d’investissement qu’on se dit qu’il faut en profiter à fond. Car même si on sait qu’on va passer beaucoup de temps dans l’eau, ce moment passera quand même très vite par rapport à tout ce qu’on a vécu pour en arriver là. Je souhaitais que ce soit à la fois un moment de fête mais aussi un moment très paisible.
J’ai apprécié que l’observateur qui se trouve à bord du bateau suiveur ait retranscrit aussi justement le sentiment de bien-être, l’atmosphère paisible que j’ai moi-même ressenti durant la traversée. C’était important pour moi que ce moment soit vécu par tous comme un moment de joie paisible. J’avais très peur que la tension et la fatigue me rende irascible avec mon équipe. Cela arrive parfois durant les traversées entre nageurs et accompagnateurs que les invectives volent. Mais ça été tout le contraire et ça été 16h43 de pur bonheur. Moi qui suis habituellement stressée pendant les compétitions, je ne l’étais pas du tout ce jour-là. Du moins pas de façon négative.
Avec mes accompagnateurs, on était dans le partage et la communication. Il y avait aussi des messages du CHU qui était présent dans mes pensées pendant la traversée. J’ai juste regretté que ma mère qui m’avait soutenue depuis le début ne puisse pas être présente à l’arrivée car j’ai accosté dans les rochers et de nuit.
Source : blog de l’Andeva