Témoignages

Entreprises

AHMED (CMMP, Aulnay-sous-Bois) : "Comment vivre normalement avec ce cauchemar de maladie ?

Il y a 12 ans, Ahmed**, un ouvrier du bâtiment, témoignait de sa vie gâchée et de son amertume d’avoir respiré l’amiante sans connaître ses dangers. Il était notamment intervenu à l’usine d’amiante CMMP d’Aulnay. Ahmed nous a quittés peu après avoir écrit ce témoignage que nous lisons avec la même émotion qu’il y a 12 ans.

« Je suis d’origine marocaine, arrivé en France à l’âge de 31 ans avec la ferme volonté de travailler pour vivre mieux. Si j’ai laissé mon pays loin, c’est pour fuir la misère et assurer un avenir digne à ma famille. Donc, je suis venu en France pour travailler et non pour me sacrifier.
J’ai travaillé dans le secteur du bâtiment entre 1970 et 1990, comme maçon dans différentes entreprises, dont Bâtiment Assainissement en 1970 à Aulnay-sous-Bois, au Comptoir des minéraux et matières premières.
Depuis 1990, je suis sans emploi.
Aujourd’hui je suis atteint d’un mésothéliome et je sais ce qu’il représente comme fardeau, avec des douleurs qui ont entraîné mon hospitalisation en 2003. Aujourd’hui, je vis avec cette maladie, après avoir donné le meilleur de moi-même au travail, sans protection et sans information sur les risques professionnels.
J’ai des douleurs, des essoufflements sans le moindre effort, des vertiges même en marchant sans forcer, des maux de tête, une sensibilité aux odeurs, aux bruits et à la vie en groupe, ce qui réduit la vie sociale et mon entourage. Je ne peux plus voir des amis et des gens de la famille comme et quand je veux. Pour les loisirs, là encore, rien à faire, faire du bricolage relève de l’exploit puisque ça devient une corvée. Au moindre effort j’ai les jambes qui tremblent.
Le plus délicat pour ma famille, c’est le changement de mon caractère, moi qui étais calme, je suis devenu facilement irritable, je m’emporte pour rien, ce qui est insupportable d’une part et d’autre part, c’est la difficulté pour tous les enfants de se faire à l’idée que cette maladie peut m’emporter à n’importe quel moment. C’est une épée de Damoclès qui pèse sur ma tête et que toute la famille appréhende gravement.
Comment vivre normalement avec ce cauchemar de maladie.
Le pire, c’est que même après mon départ ma famille souffrira encore à cause du mésothéliome.
Aujourd’hui je suis très amer, je croyais être venu en France pour travailler et vivre, or je découvre que le travail va finir par me tuer à cause de l’amiante. »
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** Le prénom a été changé

Alstom : une vie brisée par l'amiante

Jeannine avait travaillé près de 30 ans pour Alstom au Bourget, puis à la Courneuve. Elle occupait des postes administratifs dans un bureau proche de l’atelier où les ouvriers assuraient le montage des turbines. L’amiante y était omniprésente.

Atteinte d’un mésothéliome reconnu en maladie professionnelle, elle s’est battue à la fois contre son cancer et contre Alstom, responsable de sa maladie.

En 2011, la faute inexcusable d’Alstom a été reconnue par le Tass de Bobigny, mais avec des indemnisations qui sous-estimaient l’importance de ses préjudices. Elle a fait appel.

La maladie a été plus rapide que la Justice. Elle est décédée en août 2014.

Son époux, atteint lui aussi d’une grave maladie, a poursuivi cette procédure avec le soutien de l’Addeva 93.

L’établissement du Bourget est inscrit sur les listes ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité « amiante ». Alstom ne pouvait ignorer le danger.

L’affaire a été plaidée le 18 juin. La cour d’appel de Paris rendra son jugement en octobre.

Babcock - "Les vieilles chaudières étaient bourrées d'amiante"

A la chaufferie, les vieilles chaudières Babcock étaient bourrées d’amiante. On les a démolies sans précaution. Il y avait de l’amiante partout. Le sol était nettoyé à sec, avec un balai. Tout le monde en a respiré…

Aujourd’hui, c’est l’hécatombe. Sur la centaine de salariés qui ont travaillé à la chaufferie depuis les années 50, on compte déjà 9 morts (4 mésothéliomes et 5 cancers broncho-pulmonaires) et un cas de plaques pleurales. La liste n’est malheureusement pas close.

CLAUDE (Wanner Isofi) : "le rescapé"

Afin de recueillir des témoignages pour étoffer le dossier de « faute inexcusable » concernant l’employeur Wanner-Isofi, je me suis mis à la recherche d’anciens collègues de travail.

Mon enquête s’avéra difficile. Tous mes anciens compagnons de travail étant décédés… tous ou presque : je n’ai retrouvé la trace que d’un seul rescapé.

Il faut dire pour que tout le monde comprenne, que nous étions projecteurs d’amiante, soit le flocage de ces fibres mortelles. C’était il y a plus de 40 ans, nous n’étions alors que des enfants de 16 à 20 ans (pas encore majeurs à l’époque).

Après une longue et difficile enquête, je retrouve la trace de mon ami et ancien compagnon de travail : Robert.

Ayant pu obtenir ses coordonnées, j’entre en contact avec lui :

Claude : Allo ! Robert, c’est Claude.

Robert : Ah, c’est toi Claude, j’hésite entre Yann et toi…

Claude : Tu n’es pas au courant, Yann est décédé, il y a cinq ou six ans d’une Asbestose, il avait la cinquantaine, laissant derrière lui femme et enfants.

Robert : J’ai eu bien plus de chance que lui, il me reste encore pour l’instant un poumon… mais dans quel état !!!

Les larmes me vinrent, ma gorge se noua. J’étais à la fois heureux d’avoir retrouvé un camarade de travail et révolté de son état de santé.

Claude DARRAS
Ancien projecteur d’amiante.
Reconnu en Maladie Professionnelle : asbestose.

DANIEL, CHRISTIAN, JEAN-BERNARD, JOSÉ, SERGE, LUCIEN (Wanner Isofi, Aubervilliers) "Nous étions projeteurs d'amiante"

Ils ont travaillé dans des nuages de poussière pour floquer les murs, les plafonds, les charpentes métalliques. Ils ont respiré des fibres par millions. Un métier dur, malsain, mais qui rapportait la paye à la fin du mois. On faisait embaucher un fils, un frère, un cousin… Aujourd’hui des familles entières sont frappées par la maladie

Daniel et Christian étaient deux frères, inséparables comme les deux doigts de la main. L’un est entré chez Wanner ; l’autre l’a suivi. Daniel a été projeteur puis conducteur de travaux. Christian a été projeteur, chauffeur et mécano. Tous deux sont décédés de l’amiante. Leurs épouses et leurs filles ont engagé une action en faute inexcusable de l’employeur.

On nettoyait les machines à la soufflette

Jean-Bernard les a bien connus. Il témoigne. « Les machines étaient équipées d’une vis sans fin. Elles avaient une cardeuse avec des pales qui servaient à carder l’amiante pour la projeter plus facilement. Les pales s’usaient. Il fallait les changer.

On nettoyait les machines à la soufflette qui soulevait des nuages de poussières d’amiante.

Sur les chantiers, la projection se faisait à l’humide, mais lors des interventions sur la machine les fibres étaient sèches. Le port du masque n’était pas systématique. On faisait des essais de flocage dans l’atelier : sur un panneau de bois ou sur un mur. Le soleil qui donnait sur les plaques transparentes dans l’atelier laissait voir des nuages de poussières en suspension.

A Aubervilliers, certains allaient au restaurant, d’autres mangeaient dans l’atelier. Ceux qui allaient au restaurant ne quittaient pas forcément leurs vêtements de travail. Certains les gardaient, se contentant d’un coup de soufflette pour les dépoussiérer. On balayait sans masque.

Quand on sortait de l’atelier on avait d e l’amiante dans les cheveux et dans le nez. Il y en avait plein les chaussures et dans les poches. En fin de poste les douches n’étaient pas systématiques. Les vêtements de travail se couvraient de poussiè r e d’amiante. Sur les chantiers il n’y avait pas d’endroit pour ranger les habits. Certains les mettaient dans le coffre de la voiture. On prenait le casse croûte sur le tas, assis sur des sacs d’amiante. Jamais on ne nous a dit : « Attention ! Vous travaillez sur un matériau dangereux ». On ne savait pas. On n’était pas informés par le médecin du travail ni suivis médicalement. »

Et puis il y a eu les décès des copains… Jean Bernard prend un papier et note, un par un, les noms des disparus.

De la poudre d’amiante à pleines mains

José raconte à son tour la vie des projeteurs : « On utilisait des sacs d’amiante de 25 à 30 kilos remplis de poudre d’amiante. On mettait le sac à côté de la machine. On travaillait à deux : l’un prenait de l’amiante avec les mains et alimentait la machine. L’autre projetait le flocage. On utilisait un mélange de colle, d’eau et d’amiante dans une sorte de grande marmite. Il y avait un compresseur. On projetait ce mélange sur la surface à floquer. Il y avait souvent des bourrages. Il fallait démonter. On portait des masques, mais il était difficile de travailler huit heures avec un masque.

Pour faire le travail de projeteur il y avait un savoir faire : il fallait avoir le coup d’œil pour avoir la bonne épaisseur. Il fallait mouiller, mais pas trop, sinon le flocage tombait. Le travail était très fatigant. On travaillait beaucoup les bras tendus audessus de la tête, souvent dans des locaux fermés, sans ventilation. Il y avait tellement de poussière qu’à certains moments on ne se voyait même plus entre nous.

La poussière nous tombait dans les yeux. Il n’était pas facile de porter en même temps des lunettes et un masque. J’avais toujours tendance par réflexe à plisser ou à fermer les yeux. Pour travailler on mettait une casquette ou des chiffons sur la tête. On avait quand même les cheveux remplis de poussière d’amiante.

Nous avions deux paires de bleus par an. C’était l’épouse qui les lavait à la maison. Elle les secouait avant de les laver pour enlever la poussière d’amiante qui s’accumulait dans les poches ou dans les bas de pantalon repliés. Il y avait beaucoup de déplacements. On travaillait parfois jour et nuit, samedi et dimanche. Beaucoup de chantiers avaient une courte durée. On n’avait pas de chauffe-gamelle, pas de vestiaire ni de douche, pas de cabane de chantier. Les gros chantiers, mieux équipés, étaient plus rares. »

A son tour, José dresse la longue liste des collègues disparus. Les noms et les surnoms reviennent peu à peu en mémoire. « Les patrons ne nous ont rien expliqué du tout. On ne savait pas que l’amiante était nocif. A cette époque-là, ce qui nous intéressait, c’était surtout de travailler »

On dormait sur les sacs d’amiante

Serge était projeteur chez Wanner. Il a travaillé dans des centrales thermiques, à Jussieu, dans les stations du métro, dans des raffineries, aux chantiers navals de Cherbourg… « Quand on intervenait dans les centrales EDF, on arrivait le vendredi soir. La centrale avait commencé à ralentir la production à partir de midi. On devait intervenir à partir de minuit. C’était encore très chaud. Il fallait coûte que coûte avoir fini le dimanche soir à minuit, car il fallait encore douze heures pour le redémarrage de la turbine le lundi.

On travaillait par roulement toute la nuit et la journée sans arrêt. De temps en temps l’un d’entre nous sortait prendre l’air ou boire un café. On allongeait des sacs d’amiante par terre et on dormait dessus à tour de rôle. Les sacs étaient mous. Ce n’était pas le même confort qu’un matelas, mais nous étions fatigués et nous dormions sans difficulté. Les responsables d’EDF étaient bien au courant…

Pour ces interventions la société Wanner payait le déplacement et 25 heures sur 24. A l’origine, c’était une prime de salissure, puis elle s’est appelée prime d’incommodité. En fait il faudrait plutôt parler d’insalubrité.

On avait la gorge qui raclait, la bouche sèche. On en prenait plein les yeux, plein les narines. Les projeteurs faisaient des crises de sinusite sèche. Les fibres d’amiante pénétraient facilement dans la peau des mains. Il fallait les extraire tout de suite, mais sans les casser, sinon elles continuaient à pousser sous la peau et ressortaient. Cela ressemblait à des verrues.

On gagnait bien notre vie, mais il fallait voir le nombre d’heures qu’on faisait : pratiquement le double d’un mois normal. Et nous étions souvent en déplacement.

Jamais on ne nous a informés du danger. Quand on posait des questions, les réponses étaient évasives. Nous sentions que c’était un travail malsain, mais on ne pensait pas que c’était à ce point dangereux. On ignorait que c’était mortel. ».

Serge est reconnu en maladie professionnelle pour des plaques pleurales. Il avait fait embaucher ses trois frères chez Wanner. Tous ont été atteints d’une maladie due à l’amiante. L’un est décédé. Les deux autres sont en invalidité pour l’amiante.

27 ans après…

Mamou a perdu brutalement son mari. Boubakar était dans la force de l’âge, syndicaliste actif. Il fut emporté en deux mois par un cancer broncho-pulmonaire foudroyant. Il avait travaillé onze mois chez Wanner. 27 ans plus tard, la maladie l’a rattrapé.

Restée seule avec cinq enfants, Mamou a dû faire face avec courage, soutenir ses enfants en cachant son chagrin. Elle a trouvé à l’Addeva 93 un soutien moral, une solidarité. Elle s’est engagée à son tour bénévolement dans l’association.

Une famille décimée

Simone raconte ce qu’elle a enduré. Cinq personnes de la famille ont travaillé chez Wanner. Elle a d’abord perdu son mari, décédé d’un cancer du poumon à 42 ans. Puis l’amiante lui a pris son père. Elle a perdu sa mère, contaminée en lavant des bleus. Au printemps 2004, ce fut le tour de son frère : militant à l’Andeva depuis sa création, Claude a gardé jusqu’au bout la chaleur humaine et la formidable énergie qui avaient fait de lui un animateur de l’association « Vie Libre », où il aidait d’anciens alcooliques à remonter la pente.

Je les rends responsables

Le père d’Aline est mort de l’amiante. Lui aussi travaillait chez Wanner. En novembre 1977, il avait écrit à Simone Veil, alors ministre de la Santé, une lettre qui mettait en cause la direction de l’entreprise et les carences du médecin du travail.

« Ma santé est irrémédiablement compromise… Je les rends responsables aussi de l’état de santé tant physique que du moral définitivement compromis des quelques ouvriers en longue maladie qui ont été licenciés ces derniers temps. ».

Au bas de cette lettre, il y avait les noms de quinze collègues décédés et de douze collègues malades…

Aujourd’hui Aline a des plaques pleurales. Comme sa mère, elle a été contaminée en lavant des vêtements de travail. Elle sera indemnisée par le Fiva. Ce n’est que justice. Mais l’argent ne remplacera jamais ce qu’elle a perdu. Aline voudrait que les responsables soient jugés et condamnés.

UNE RECONVERSION RÉUSSIE

Après avoir prospéré dans le flocage et le calorifugeage, Wanner Isofi (aujourd’hui Kaeffer) occupe le profitable créneau du déflocage et du décalorifugeage. On fait des profits en projetant l’amiante. On les multiplie en retirant le poison qu’on a projeté. Ainsi va la vie…

 

HENRI (Cegelec Alstom La Courneuve) : la véridique histoire d'un incroyable parcours du combattant

S’il était permis de plaisanter sur des sujets touchant à la santé et à la vie humaine, on dirait sans hésiter qu’Henri Boumandil devrait figurer dans le Guiness des records. Atteint de deux maladies liées à l’amiante, des plaques pleurales et une asbestose, il a dû engager depuis 1987 un incroyable marathon judiciaire. Il était encore le 19 février devant la Cour d’appel de Paris.

« J’ai travaillé pendant 16 ans chez CEGELEC – Alstom, explique Henri, le secrétaire de l’Addeva 93. En 1987 j’ai eu des plaques pleurales liées à l’amiante. La Caisse primaire a refusé deux fois de reconnaître la maladie professionnelle. En 1997, j’ai contesté ces refus devant le Tass qui m’a débouté. En 2002, quinze ans après la première déclaration, à l’issue de onze audiences, la Cour d’appel de Paris m’a enfin donné gain de cause. La cour de cassation a rejeté le pourvoi d’Alstom. En 2005 j’ai fait condamner Cegelec pour faute inexcusable de l’employeur ».
L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais, la même année, Henri a découvert qu’il avait une seconde maladie : après les plaques qui rigidifiaient la plèvre, est arrivée une asbestose, une fibrose du poumon proprement dit. « Cette fois-ci, la caisse primaire a reconnu sans difficulté la maladie en 2006. On pouvait espérer que le tribunal, qui avait déjà prononcé une condamnation, allait la confirmer pour cette seconde maladie. En fait, après avoir saisi le tribunal, j’ai attendu encore trois ans que l’affaire soit audiencée devant la Cour d’appel de Paris ! »

Le 19 février 2015, escorté d’une délégation de l’Addeva, Henri s’est rendu au Palais de Justice.

Une véritable partie de ping pong ! Quatre avocats représentant chacun une entité industrielle née des restructrurations successives de Cegelec sont intervenus. « Ils se sont livrés à une véritable partie de ping-pong, explique Henri. Chacun à son tour, ils ont tous juré que leur société n’avait aucune responsabilité dans cette affaire » « Les avocats de la partie adverse ont soutenu que je n’avais qu’une seule maladie dont l’aggravation avait déjà été payée, . L’asbestose et les plaques pleurales sont pourtant deux pathologies bien distinctes, l’une affectant le poumon, l’autre la plèvre qui l’enveloppe ». La Cour d’appel rendra sa décision le 16 avril.

Henri a cessé de compter les radios, les scanners, EFR, lavages broncho-alvéolaires qu’il a subis depuis le début de l’aventure. Il a 83 ans. Il est plus déterminé que jamais, mais il commence à trouver le temps long….

Qui d’autre qu’un militant associatif et syndical chevronné comme lui aurait pu suivre un tel parcours du combattant sans jamais se décourager ?

 

HENRI (Cegelec La Courneuve) : "je suis condamné à vivre encore trois ans"

Henri a quatre-vingt un printemps. Il était électricien chez Alstom. Depuis 1987 il n’a cessé de se battre pour faire valoir ses droits. Sa ténacité exemplaire devrait lui valoir une place dans le Livre des records.
La cour d’appel de Paris vient de me convoquer pour une audience… le 19 février 2015 ! Me voici donc condamné à vivre encore trois ans !

Je serai alors dans ma quatre-vingt-quatrième année. J’espère que je serai encore de ce monde. Ainsi que mon avocat…

Je me souviens de ma première déclaration pour mes plaques pleurales. C’était en 1987, il y a 25 ans déjà…

Il a fallu 15 années de procédure judiciaire devant le Tribunal des Affaires de la Sécurité sociale (le Tass), puis en Cour d’appel, puis en Cour de cassation pour que soient définitivement reconnues la maladie professionnelle et la faute inexcusable en mai 2005.

Il a fallu argumenter devant le tribunal du contentieux de l’incapacité (le TCI) pour obtenir que le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) soit réajusté de 6% à 13%.

Avec l’arrivée d’une asbestose, liée elle aussi à l’amiante, mon état de santé s’est aggravé : cette deuxième maladie affectait non plus l’enveloppe du poumon (la plèvre) mais l’intérieur du poumon lui-même (le parenchyme pulmonaire). Ma fonction respiratoire s’est altérée. Il a fallu encore se battre pour obtenir un certificat médical initial pour déclarer cette deuxième maladie professionnelle, se battre pour la faire reconnaître en juin 2006.

Il a fallu retourner à nouveau devant le TCI pour que le taux d’incapacité soit porté à 20% en juin 2009.

Puis retourner devant le Tribunal des Affaires de la Sécurité sociale pour faire rejuger la faute inexcusable d’Alstom pour cette seconde maladie, point de passage obligé pour faire valoir mes droits. Les avocats d’Alstom ont prétendu que l’asbestose avait déjà été jugée. La présidente les a crus et m’a débouté le 20 février 2012 .

J’ai dû faire appel. La cour a reçu ma demande et m’a donné rendez-vous… dans trois ans ! Entre le 31 mars 1987 et le 20 février 2012, j’ai passé 34 radios, 13 scanners thoraciques, 18 explorations fonctionnelles respiratoires, et 6 fibroscopies bronchiques, dont trois avec lavage broncho-alvéolaire. Dois-je avoir honte de coûter aussi cher à la Sécurité sociale ?

J’ai répondu à 18 convocations de 9 experts. Je me suis présenté à 25 audiences des tribunaux (Tass, cour d’appel, TCI). Dois-je avoir honte de coûter aussi cher à la Justice ?

L’engorgement des tribunaux et le manque de moyens des juges me condamnent à vivre encore trois ans. On se retrouve en 2015. Je vous raconterai la suite de mes tribulations devant les tribunaux.

Henri

(La Courneuve)

Article tiré du Bulletin de l’Andeva n°39 (mai 2012)

 

JACQUES : « J’ai poncé des dalles de sol amiantées pendant trois ans »

« J’ai suivi une formation de prothésiste dentaire. à la sortie de l’école, j’avais un diplome mais pas d’emploi. Mon père avait alors de graves difficultés financières. Pour l’aider, j’ai pris le premier boulot qui s’est présenté.

Un ami m’a suggéré un poste de ponceur dans une société d’Etrechy qui faisait l’entretien et la rénovation des revêtements de sols pour l’OPHLM dans les Hauts-de-Seine, les Yvelines et à Paris.

Nous devions poncer les dalles de sol en vinyle-amiante et remplacer celles qui étaient dégradées.

Après nous, d’autres ouvriers venaient poser des parquets, de la moquette dans les chambres et du lino dans la cuisine et le couloir.

Nous utilisions des ponceuses à bandes très lourdes pour le gros des surfaces, des bordeuses à disque rotatif près des plinthes et des ponceuses plus petites pour les angles. Ces machines soulevaient des nuages de poussières avec une masse de fibres d’amiante. C’était un travail de manoeuvre.

On nous donnait des combinaisons, mais pas de protections respiratoires. Un simple foulard autour du cou, pas de masque. La poussière nous entrait dans le nez et les yeux. Nous n’étions pas avertis des risques…

Les chantiers se succédaient : Chatenay- Malabry, la Défense, Courbevoie, Grigny la Grande Borne…

Nous rénovions surtout des F3 et des F4. On en faisait deux ou trois dans la journée. Nous étions payés au mètre carré. Plus on ponçait, plus on touchait… En fin de journée nous étions couverts de poussière. On s’en débarrassait par un coup de « soufflette » d’air comprimé. Nous n’étions pas conscients du danger.

J’ai curé des vide-ordures en amiante-ciment avec des buses, des hérissons, des ponceuses ou une sableuse et un compresseur. Les poussières d’amiante tombaient en contrebas dans les conteneurs qui étaient vidés par les éboueurs avec les déchets ordinaires.

Les ponceurs avaient le nez engorgé de poussières. Dès le début, j’ai eu des abcès aux sinus, avec des soins à l’hôpital de Corbeil et à l’hôpital intercommunal.Retour ligne automatique
En 2008, suite à des douleurs irradiantes dans la poitrine, j’ai été hospitalisé à Créteil. J’ai passé un scanner qui a montré des plaques sur la plèvre pariétale et des épaississements sur la plèvre viscérale. Le radiologue m’a demandé si j’avais travaillé dans l’amiante.

La maladie professionnelle a été reconnue. En 2011, la Cpam 91 a fixé l’incapacité (IPP) à 15%, le Fiva l’a fixée à 7%.

En 2012, on m’a diagnostiqué un cancer du larynx. On m’a enlevé une corde vocale et opéré du sinus piriforme. J’ai appris bien plus tard que cette maladie pouvait résulter d’une exposition à l’amiante.

Ma fonction respiratoire s’est récemment dégradée avec un effondrement de moitié de mes volumes pulmonaires, des douleurs permanentes qui résistent aux antalgiques de niveau 2 et d’épuisantes quintes de toux qui me réveillent la nuit.

Un expert désigné par le FIVA a préconisé de faire passer mon taux d’IPP à 50% puis à 60%. Le médecin conseil de la Sécurité sociale a voulu en rester à 15%. J’ai contesté sa décision.

J’ai été ponceur pendant 3 ans, de 1977 à 1979. Longtemps après, la maladie m’est tombée dessus. Ce fut un choc. Et l’aggravation, a été un nouveau coup de massue. Retour ligne automatique
Je suis aujourd’hui relié à une bouteille d’oxygène vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’ai cinquante-huit ans. Je suis marié et j’ai quatre grands enfants. Je veux garder le moral, et affronter activement ma maladie. Mais l’avenir m’inquiète. »

MARYSE : "Je voulais entendre dire qu'Alsthom avait mis en danger la vie d'êtres humains"

Maryse et Suzanne ont chacune perdu leur mari, décédé d’un mésothéliome. Elles ont décidé de poursuivre leur employeur, Alstom et Babcock, afin de faire reconnaître la faute inexcusable de ces entreprises. Elles viennent de gagner leur procès au bout de deux ans environ. La reconnaissance de cette faute était leur première motivation. Elles expriment leur satisfaction et leur soulagement tout en soulignant que cette victoire ne remplacera pas la perte douloureuse de leur compagnon.

« Avec le temps, je me suis dit ça irait mieux. Mais, aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de rage » , témoigne Maryse, 53 ans, qui a perdu son mari en 2000.

Le frère de son mari est mort en juillet 2000 d’un mésothéliome. En septembre, son mari, âgé de 50 ans, est tombé malade et est également décédé d’un mésothéliome en novembre de la même année.

Maryse vient de gagner contre la société Alstom où son mari et son beau-frère ont été contaminés par l’amiante.

« Le fait que cette société ait été condamnée pour faute inexcusable me soulage, mais, en même temps, je sais que mari ne sera jamais remplacé. Je n’ai pas encore tourné la page. « 

Elle s’empresse d’ajouter qu’elle attend le jugement écrit et qu’elle ne sait toujours pas si Alstom va faire appel du jugement. Le jugement a été prononcé le 12 décembre dernier par le Tass (Tribunal des affaires de Sécurité sociale) de Bobigny.

Maryse estime que le procès a été assez rapide mais aussi éprouvant. Toute l’année 2003 a été une année de procédure avec une remise d’audience.

« Nous avons obtenu environ 150.000 euros pour le décès de mon mari et les préjudices subis par ma fille et moi. Mais ce n’est pas vraiment l’argent qui m’intéresse. Je voulais avant tout obtenir une reconnaissance et entendre dire qu’Alstom avait mis en danger des êtres humains.

Bien sûr, l’argent est bienvenu car j’ai du mal à gérer ma vie en ce moment et à entretenir la maison que nous avions achetée ensemble.

Au final, j’aurais toujours obtenu cette reconnaissance. Je suis arrivée à mes fins et j’ai aussi pu témoigner et prévenir les collègues de mon mari et tous les autres afin qu’ils ne subissent pas ce que nous avons subi. « 

MONIQUE (VieuxMaire au Raincy) : « J’avais 15 ans, et je cousais des mouffles en amiante. »

Monique sortait de l’école quand elle a trouvé du travail dans une petite usine, à deux pas de la maison de ses parents. Un demi-siècle plus tard, elle a été rattrapée par un mésothéliome. Elle témoigne.
J’ai travaillé trois ans et demi chez Vieuxmaire au Raincy (93), une petite entreprise qui fabriquait des joints en amiante pour l’automobile et des vêtements anti-feu en amiante pour les pompiers.

Ma chef et moi devions découper et assembler des mouffles et des cagoules de pompier.

Le tissu d’amiante arrivait en grands rouleaux de 1,20 mètre.

Les rouleaux étaient empilés les uns sur les autres. Ce n’était jamais le bon qui était sur le dessus. J’escaladais la pile de rouleaux en faisant la « fofolle ». Nous avions souvent des fous rires…
Quand je trouvais le bon rouleau, nous le descendions à deux. Nous le déroulions sur une table posée sur des tréteaux.
Puis, il fallait plier la «  rame   » de tissu en accordéon sur plusieurs épaisseurs pour qu’elle passe dans la machine.

N’ayant pas 16 ans, je n’avais pas le droit d’utiliser les machines, mais j’ai dû m’y mettre avant l’âge requis.
Les chutes de tissu d’amiante allaient dans une poubelle ordinaire. En sortant de l’école, mon jeune frère passait devant l’usine. Ses copains et lui jouaient avec ces bouts de tissus. A l’époque, nous ne savions rien des dangers de l’amiante. Dans cette usine, je n’ai jamais entendu quelqu’un en parler.

Quand il faisait beau on faisait le pliage à l’extérieur ; quand il faisait mauvais, c’était dans l’atelier. La poussière d’amiante voltigeait dans les locaux. La manipulation des tissus en soulevait plus que celle des joints. En les pliant, on la voyait s’envoler…
Le vendredi soir, je faisais un grand nettoyage, une semaine sur deux, en alternance avec une autre fille de mon âge, qui emballait les cartons de joints. Il y avait beaucoup de poussière, qu’on balayait à sec, avec un balai de coco.
L’entreprise ne lavait pas nos blouses. Je ramenais les miennes à la maison. Nous étions six enfants. Il n’y avait pas de machine à laver. Ma mère lavait nos vêtements à la main.

J’ai quitté Vieuxmaire. J’ai été mécanicienne sur machines à coudre, vendeuse de grands magasins, puis j’ai travaillé 26 ans à la SAFT. J’ai pris ma retraite, en 1998.

L’an dernier, j’ai commencé à ne pas me sentir bien. J’étais essoufflée, je n’avais plus d’énergie pour recevoir des amis. J’ai passé des examens. Les médecins n’ont rien vu.

Un jour la situation est devenue invivable. Dès que je montais un escalier et même en marchant en terrain plat, j’étais essoufflée.

On m’a fait passer des radios. En voyant les premiers clichés, je n’ai pas pensé à l’amiante, mais j’ai tout de suite compris que j’avais quelque chose de grave aux poumons.

Ma chef avait déclaré une asbestose pulmonaire en 2000. Sa maladie a été reconnue. J’ai été, moi aussi, indemnisée par le Fiva.
J’ai été étonnée d’apprendre que le danger de l’amiante était connu depuis longtemps. Si mes parents l’avaient su, ils ne m’auraient jamais fait rentrer dans cette usine !

L’Addeva 93 m’a beaucoup aidée. Elle fait travail formidable. Merci à Maribel pour sa gentillesse.

PIERRE (Renault Billancourt) : "On manipulait des centaines de kilos d’amiante à mains nues"

« Renault comme bien d’autres entreprises a exposé des milliers de salariés au risque amiante. Comme toutes les autres, elle se défend de l’avoir fait sciemment. Pourtant les faits prouvent le contraire.
L’exemple Billancourt est édifiant. Des centaines de milliers de salariés y ont travaillé pendant des décennies. Alors que depuis le début du siècle dernier la nocivité de l’amiante était connue, on continua à l’utiliser jusqu’à une date récente dans pratiquement tous les secteurs de production de véhicules, sans qu’à aucun moment des dispositions ne soient prises pour préserver la santé des travailleurs.
Dans les années 80, il y avait des « classeurs sécurité », dans les ateliers de maintenance-entretien. Ils regroupaient des notes de service. Aucune ne fait état du risque amiante, malgré le décret de 1977 qui commençait à alerter sur le danger.
Pire : en Mai 1992, la cave de l’atelier des traitements thermiques, en cessation d’activité, fut vidée de centaines de kilos d’amiante en vrac par des travailleurs de cet atelier, à main nue, sans aucune protection particulière ou information légale. L’amiante ainsi déménagé a terminé comme déchet banal à la T.I.R.U d’Issy les Moulineaux. Les salariés impliqués dans ce déstockage sauvage avaient alerté les représentants CGT du personnel au CHSCT. En 1996, une action en justice fut engagée par le syndicat. Elle n’aboutit pas, mais la médiatisation de l’événement, la création de l’Association Renault de Défense de l’Amiante à Billancourt, les nombreuses interventions des élus, les pétitions, contraignent le la direction Renault à tenir une assemblée extraordinaire des CHSCT, le 13 Mars 1996. Malgré ses limites, ce fut la première information digne de ce nom.
Hélas ! Le mal avait été fait. Aujourd’hui, les dossiers de victimes sont de plus en plus nombreux : reconnaissance de maladies professionnelles, FIVA, faute inexcusable… Des salariés relativement jeunes, en activité, sont frappés par la maladie. La semaine dernière, l’épouse d’un collègue nous annonçait que son mari était mort de l’amiante.
Plusieurs fois condamnée suite à des actions en faute inexcusable de l’employeur, Renault n’a pas modifié sa ligne de conduite pour autant. Elle continue à dresser des obstacles pour ceux qui demandent réparation, elle continue à détériorer les conditions de santé et de vie au travail.
Un collectif de défense des victimes de l’amiante chez Renault (région parisienne) s’est créé en 2007. Il rayonne sur les usines Renault de Billancourt, Flins, Rueil, Lardy, Aubevoy, Guyancourt. Il est là pour informer et aider les victimes à faire valoir leurs droits avec l’appui de l’Addeva 93, mais aussi pour faire en sorte que des catastrophes telles que l’amiante ne se renouvellent plus. Il travaille en collaboration avec plusieurs organisations syndicales de Renault (CGT, Sud, la liste n’est pas exhaustive), Un blog a été mis en place : http://www.collectif-amiante-renault.org/

Pierre BERNARDINI,
retraité de Billancourt

Sanofi use et abuse de l'inopposabilité

Sept fois condamné pour des faits graves, SANOFI a réussi à ne pas débourser un sou.
En mai 2012, le tribunal des Affaires de la Sécurité sociale a reconnu la faute inexcusable de Sanofi, après le décès d’un ouvrier du Centre de Production de Vitry (94), mort d’un cancer broncho-pulmonaire dû à l’amiante.
Septième procès, septième condamnation ! Et pourtant, à chaque fois, que d’amertume et de colère chez les familles, quand elles apprennent que Sanofi va réussir à ne rien payer !
A chaque fois, son avocat soutient en effet que la décision du Tass lui est « inopposable », du fait que la caisse primaire n’a pas respecté le caractère contradictoire de l’instruction du dossier.
A chaque fois, le tribunal lui en donne acte et déclare le jugement « inopposable ».
En pareil cas, c’est la branche AT-MP de la Sécurité sociale qui verse les indemnités et non l’employeur fautif.

En sept procès, Sanofi a ainsi économisé une somme totale de plus d’un million d’euros (sans compter les majorations de rentes) !

En 2010 l’Addeva 93 et le syndicat CGT retraités (adhérent de l’Addeva) avaient rencontré le directeur de la CPAM 94, qui s’était engagé à prendre diverses mesures, dont la notification dans les délais légaux et en recommandé avec A.R. des décisions de la caisse.
Malgré cela, en 2012, le même scénario s’est reproduit pour la septième fois ! Interpellé par la presse, le directeur a dit qu’en 2013 une application informatique ferait l’envoi automatisé de courriers recommandés avec A.R. Espérons que cela mettra fin à une gestion laxiste, exploitée par des employeurs peu scrupuleux pour ne pas assumer les conséquences financières de leurs fautes.

SERGE (Sanofi Vitry) : "la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue"

CENTRE DE PRODUCTION DE VITRY (94)

L’amiante ? On en parlait peu dans ce centre de production pharmaceutique, où bien d’autres produits dangereux étaient manipulés. Il y a quatre ans une recherche systématique des victimes a été engagée avec l’appui du CHSCT, du syndicat CGT des retraités et de l’Addeva 93.
Ce travail de longue haleine commence à porter ses fruits : des indemnisations ont été obtenues, la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue, une bataille pour la reconnaissance comme site amianté est engagée.
La presse en parle… Serge Franceschina est l’un des animateurs de l’Addeva 93. Il apporte ici son témoignage.

« Je suis parti en retraite en décembre 2004, explique Serge. Deux mois plus tard, le service médical présentait un tableau de toutes les déclarations en maladies professionnelles connues de 1975 à 2005 : 43 maladies étaient dues à l’amiante. Un chiffre énorme, effarant ! Nous avons commencé à mesurer l’ampleur du drame, qui touchait les salariés de notre entreprise.

Rechercher les victimes

Nous avons commencé à rechercher des victimes et des familles de victimes décédées, pour leur proposer notre aide. Le syndicat CGT des retraités a envoyé une trentaine de lettres. Nous avons reçu quatre ou cinq réponses. C’était un début…
Un tract d’information a été distribué dans l’usine. Le bouche-à-oreille a fonctionné : des gens sont venus nous dire qu’ils connaissaient un collègue malade, ou qu’ils avaient entendu parler de « quelqu’un qui connaîtrait quelqu’un… » Nous avons ainsi retrouvé cinq nouvelles victimes.
Pour mener à bien ce travail de fourmi, j’ai eu dès le début le soutien du syndicat CGT des retraités.
Avec l’Addeva 93 j’ai appris à monter un dossier d’indemnisation pour une caisse primaire ou le Fiva et à engager des actions en faute inexcusable de l’employeur. Après plusieurs années de travail commun le syndicat des retraités a adhéré à l’association comme personne morale. Nous avons obtenu que les salariés et les retraités puissent passer un scanner. L’un d’eux s’est découvert un cancer broncho-pulmonaire. Il a pu être opéré à temps.

Un dossier de 378 pages

L’importance du nombre de maladies et de décès nous a poussé à demander l’inscription de l’établissement sur la liste ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité. Nous étions conscients des difficultés, mais bien décidés à mener ce combat. Nous avons réalisé un dossier de 378 pages avec une liste des victimes connues, des témoignages, et des documents (fiches techniques, procès-verbaux de CHSCT, analyses, photos, plans de retrait …)
Nous avons tenu une conférence de presse la veille de la manifestation du 10 octobre en expliquant pourquoi nous demandions le classement de l’établissement. Nous en étions alors à 69 victimes recensées.
Le 10 octobre, nous étions à la manifestation nationale de l’Andeva. Dans le cortège, la veuve d’un collègue a pris contact avec nous… Nous en sommes maintenant à 70 maladies dues à l’amiante, dont 28 décès.

La responsabilité de l’employeur est reconnue

Nous aidons des victimes et des familles à engager des actions en faute inexcusables devant le TASS. Des procédures avaient été gagnées, il y a quelques années au centre de recherche de Vitry et à Romainville. Le 24 novembre, nous avons remporté notre première victoire au centre de production de Vitry. Ce jugement a eu un large écho médiatique (AFP, Parisien, Figaro, FR3…). Quatre autres dossiers vont suivre…

 

SERGE ET ALINE : deux témoignages sur Wanner Isofi

SERGE RAVARD TÉMOIGNE

« J’étais projeteur d’amiante chez Wanner Isofi »
Je suis entré comme manœuvre chez Wanner Isofi en 1964. J’y ai travaillé plusieurs années. C’est Lucien Marache qui m’a enseigné le travail de monteur-projeteur.

« C’est l’amiante bleu qui était le plus dangereux »
J’ai travaillé sur divers chantiers : dans des centrales thermiques, à Jussieu, dans les sous-stations du métro, dans la grande piscine municipale de Lyon, dans les raffineries notamment à Rennes et Feyzin, à la DCN de Cherbourg, sur les vedettes notamment les vedettes israéliennes, etc. Ces chantiers duraient plusieurs mois.
J’ai fait des flocages d’amiante. Il y avait deux sortes d’amiante : l’amiante gris et l’amiante bleu. C’était l’amiante bleu qui était le plus dangereux.

On ne projetait pas toujours de la même façon. Cela dépendait du support. La brique par exemple absorbait beaucoup d’eau. Il fallait mouiller d’abord, puis faire une passe très fine d’amiante avec de la colle pour que cela s’accroche. Ensuite intervenait le flocage direct. Quand il y avait un poteau, on projetait l’amiante avec une finition d’amiante-ciment appliquée à la taloche pour durcir l’amiante, comme on l’a fait à la Tour Nobel à la Défense ou sur les tuyauteries des centrales thermiques. Sur ces poutres, il y avait jusqu’à 19 centimètres d’épaisseur. On ajoutait un grillage, puis du ciment d’amiante dur.

Quand on cassait cette couche de ciment pour renouveler cette protection, l’amiante tombait en poussière. Le plus dur c’était les parties métalliques. Lorsqu’on floquait les poutres, il y avait des tourbillons qui provoquaient des retours d’air. Les fibres nous revenaient dans la figure.
Lorsqu’on intervenait dans les centrales thermiques, on touchait une prime d’incommodité. A l’origine, elle s’est appelée prime de salissure, puis le mot a été abandonné pour être remplacé par celui d’incommodité. En fait il faut plutôt parler d’insalubrité.

« On voyait l’auréole de poussière en suspension dans un rayon de soleil »
On avait la gorge qui raclait et la bouche desséchée. Il y avait de la poussière d’amiante partout.
Quand il y avait un rayon de soleil, on voyait l’auréole de poussières en suspension dans la pièce. Lorsqu’il y en avait trop, on sortait pour prendre l’air. Mais ce n’était pas toujours possible.

Dans les parkings, il y avait de la place, mais on travaillait aussi dans des caves ou de petites chaufferies mal aérées. L’air était confiné. On intervenait dans des endroits difficilement accessibles.
A l’atelier d’Aubervilliers, rue Danièle Casanova, le personnel qui se trouvait là en journée de travail, avant de partir sur un chantier, projetait de l’amiante sur les pots d’échappement de chars d’assaut et sur les capots d’autobus de la RATP (qu’on faisait en amiante bleu). Il y avait les portes coupe-feu. On passait d’abord au pinceau du blackson (une sorte de goudron). Avant que cela sèche, on projetait l’amiante dessus pour que cela tienne. On faisait diverses pièces courantes. Le personnel projetait à même l’atelier. Ce n’était pas fait dans une cabine. Tous ceux qui étaient à côté en profitaient.

« Les fibres d’amiante nous rentraient dans la peau des mains »
On en prenait dans les yeux et plein les narines. Les projeteurs faisaient des crises de sinusite sèche. On ne pouvait pas mettre de lunettes. Les masques qu’on nous donnait n’étaient pas conçus pour l’amiante. C’était des masques d’usage courant en nez de cochon, un masque en caoutchouc. On dévissait l’embout. Il y avait une cartouche de charbon. Ce n’était pas du matériel approprié.

Les fibres d’amiante étaient pointues et pénétraient facilement dans la peau des mains. Il fallait les extraire tout de suite, mais sans les casser, sinon elles continuaient à pousser sous la peau et ressortaient. J’ai vu cela sur les mains d’un collègue. Cela prenait l’aspect de verrues. C’était des fibres d’amiante qui poussaient sous la peau.

On mettait nos outils dans des sacs d’amiante. Il y avait la taloche, le pistolet, le rouleau. Et puis on mettait cela dans le coffre de la voiture. Le rouleau servait pour rouler la fibre. Cela lui donnait un aspect granité avec des petites bosses. Pour faire la finition on prenait un granite imitation ciment, quelquefois on remettait de la peinture à base d’amiante pour la finition. On pouvait la traiter, mais le plus souvent elle restait blanche. On l’appliquait à la taloche.

Sur les chantiers en déplacement, je partais avec une camionnette de la société, la machine et les sacs de fibres. On pouvait commencer à travailler avant que les camions nous livrent. C’était à nous de les décharger. L’amiante arrivait dans des sacs de toile de jute. Ils étaient éventrés.

« Dans les centrales EDF, on travaillait toute la nuit et toute la journée sans arrêt »
L’entreprise nous donnait une certaine somme pour les repas. Quand on était à Paris, on pouvait manger sur place, mais quand on était en déplacement, on ne pouvait pas manger à la fois le midi et le soir avec ce qu’ils nous donnaient. On prenait souvent un seul repas dans la journée.

Quand on intervenait dans les centrales EDF, on arrivait le vendredi soir. La centrale avait commencé à ralentir la production à partir de midi (il fallait douze heures). On devait intervenir à partir de minuit.
C’était encore très chaud. L’EDF donnait un total de 500 heures pour cette intervention. Il fallait coûte que coûte que tout soit fini le dimanche soir à minuit, parce qu’il fallait encore douze heures pour le redémarrage progressif de la turbine, le lundi.

« On dormait sur des sacs d’amiante allongés par terre »
On travaillait par roulements, toute la nuit et la journée sans arrêt. De temps en temps, l’un de nous sortait prendre un café et prendre l’air. Pendant cela, les autres travaillaient sans arrêt.

Pour dormir, on allongeait des sacs d’amiante par terre et on dormait dessus à tour de rôle. Les sacs étaient doux, moelleux. Ce n’était pas le même confort qu’un matelas, mais nous étions fatigués et nous dormions sans difficulté. L’EDF était au courant…

Pour ces interventions, la société Wanner payait 25 heures sur 24 et payait aussi le déplacement.

« Ce sont les femmes des projeteurs qui lavaient les bleus de travail »
Les bleus de travail n’étaient pas lavés par Wanner. On les mettait dans un sac et on les ramenait à la maison. Les femmes des projeteurs les lavaient. Quand on venait de projeter l’amiante, les bleus étaient mouillés. Il fallait attendre qu’ils soient secs. On les nettoyait alors à la soufflette à l’air comprimé. Souvent la femme prenait une brosse à laver pour décoller le plus gros. Elle relevait les bouts de manche, car il y avait beaucoup de poussière dans les plis.

On gagnait bien notre vie, mais il fallait voir le nombre d’heures qu’on faisait : pratiquement le double d’un mois normal ! Nous étions souvent en déplacement. Jamais on ne nous a informés du danger.

« Si on vous le fait faire,c’est parce que ce n’est pas dangereux »
Quand on posait des questions, les réponses étaient évasives : « si on vous le fait faire, c’est parce que ce n’est pas dangereux »…. On sentait que ce travail était malsain, mais on ignorait que c’était mortel. Beaucoup de mes anciens collègues sont décédés. Il y a ceux que je connais et tous ceux dont j’ignore s’ils sont vivants ou morts.

J’ai été reconnu en maladie professionnelle pour des plaques pleurales. Mes trois frères, que j’ai moi-même fait embaucher chez Wanner comme projeteurs, ont tous les trois été atteints d’une maladie de l’amiante.

Jean-Pierre Ravard a été reconnu en maladie professionnelle. Roger Ravard a été opéré deux fois avant d’être mis en invalidité. Patrice Ravard a, lui aussi, été opéré des poumons. Il est décédé le premier de l’amiante. Roger l’a suivi.

Aline FABRE

Entre tristesse et rage
Fille de Lucien Marache, projeteur d’amiante chez Wanner Isofi, elle a vu sa famille détruite par l’amiante.

Lucien est mort d’un cancer de l’amiante en 1980. Il avait 59 ans.

« Depuis 30 ans, il ne s’est pas passé une semaine sans que je pense à lui », confie sa fille. Lucien avait écrit en 1977 à Simone Weil, alors ministre de la Santé, pour l’alerter sur les méfaits de l’amiante. Au bas de sa lettre, la liste de ses collègues décédés…

« Quand il est mort, ma mère a sombré dans l’autodestruction. Elle avait lavé ses bleus. J’ai découvert après son décès qu’elle avait des plaques pleurales. Elle ne m’avait rien dit. Puis j’ai appris que j’avais moi aussi des plaques. Le Fiva a indemnisé la maladie de ma mère et la mienne. Pour la mémoire de mon père, j’ai fait une faute inexcusable. Wanner a été condamné. »

Il y a quelques mois, Aline apprenait qu’elle avait un mésothéliome. Elle affronte cette maladie avec courage, mais aussi la rage au cœur contre ces empoisonneurs obnubilés par leurs profits qui ont détruit une famille qui ne demandait qu’à vivre heureuse.

SORAYA et SERGE (Sanofi) - Faute inexcusable de l'employeur : un combat pour la justice

Monsieur Berkane aurait pu vivre des années heureuses avec sa famille. Son travail chez Sanofi l’a tué. Comment dire le chagrin et la rage de ses proches face à ce cancer évitable ?
Soraya a engagé une action en faute inexcusable de l’employeur. La faute a été reconnue, mais Sanofi n’a rien payé.

Elle s’est jurée de se battre jusqu’au bout contre cette injustice. Avec Serge, un ancien de chez Sanofi, ils racontent l’action menée avec le soutien de l’Addeva 93.

« J’ai perdu mon père d’un cancer de l’amiante. Il avait 63 ans. Sanofi a été condamné… à ne rien payer ! »

Pourquoi as-tu décidé d’engager ce combat ?

Soraya : J’ai perdu mon père âgé de 63 ans en 2010, à la suite d’un cancer broncho-pulmonaire qui l’a emporté en 6 mois. C’était une maladie professionnelle liée à l’amiante qu’il avait respiré chez Sanofi-Aventis à Vitry, dans le Val-de-Marne.

C’est le 80ème cas de maladie liée à l’amiante recensé sur ce site. 30 personnes sont décédées.

Nous avons engagé une action en justice contre Sanofi. Le 15 mars 2012, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Créteil a reconnu la faute inexcusable de l’employeur mais Sanofi a plaidé « l’inopposabilité » de la décision, arguant d’une faille dans le dossier (une erreur d’adresse dans un envoi de la caisse primaire de Sécurité Sociale) pour se soustraire à ses obligations et fuir ses responsabilités. Sanofi a même osé faire appel, alors qu’il ne déboursera pas un seul euro ! C’est honteux ! La prochaine audience aura lieu… le 27 février 2014.

J’ai voulu dénoncer cette injustice et la faire cesser.

Qui paye lorsque la décision est « inopposable » à l’employeur condamné ?

Serge : C’est la Branche Accidents du Travail – Maladies professionnelles (AT-MP), qui est alimentée par les cotisations patronales. Autrement dit, ce n’est pas l’employeur fautif, c’est la collectivité des employeurs, petits ou grands, qui en supporte le charge. L’indemnisation est mutualisée ; des PME qui n’ont jamais vu d’amiante mettront la main à la poche, mais pour un grand groupe comme Sanofi, la condamnation sera indolore.

Comment avez-vous réussi à faire percer publiquement ce scandale ?

Soraya : Avec Serge et le soutien de l’Addeva 93, nous avons alerté la presse en commençant par Gazelle, un petit journal pour les femmes immigrées de la deuxième génération.

Une brèche s’est ouverte. Des journalistes se sont émus : l’AFP, Le Parisien, Marianne, Le Canard Enchaîné, Le Point, RMC, l’Humanité, l’Express, France 3, France 24… se sont saisis de l’affaire.

J’ai aussi demandé aux politiques s’ils trouvaient normal que la Sécurité Sociale paye au lieu du laboratoire reconnu responsable. J’ai reçu des réponses de plusieurs partis, de plusieurs candidats à la présidence de la République, de la garde des Sceaux, du Ministère des Affaires sociale et de la Santé…

Serge : nous avons aussi alerté le directeur de la caisse primaire du Val-de- Marne. En additionnant les sommes octroyées par le tribunal aux victimes et aux familles, nous avons chiffré le coût pour la branche AT-MP : plus de 800 000 euros en 3 ans !

Quels ont été les résultats de votre action ?

Soraya : J’ai reçu une réponse du ministère de la Justice. Il me confirme que la reconnaissance de l’inopposabilité par le tribunal « interdit à la caisse de récupérer » auprès de l’employeur « les compléments de rente et les indemnités versées par elle au salarié malade ou à ses ayants droit, après la reconnaissance de la faute inexcusable ». Il estime que cela aboutit à « des conséquences inéquitables puisque l’employeur responsable d’une faute inexcusable n’en assume pas les conséquences financières ».

La lettre se terminait par le texte du nouvel article que le gouvernement souhaitait ajouter au Code de la Sécurité sociale pour empêcher ces abus. La loi a maintenant été votée.

Serge : Nous avons remporté une belle victoire en obtenant cet article qui devrait mette fin à ces pratiques scandaleuses.

Mais nous devons rester vigilants. Les patrons peuvent trouver d’autres moyens de ne pas payer. Certains pratiquent déjà la contestation systématique dès le stade de la déclaration pour tout accident et toute maladie imputable au travail.

« La loi de financement de la Sécurité sociale devrait mettre fin à cette pratique abusive. »

Trucs et astuces de l’employeur

Sanofi-Aventis a été condamné sept fois pour faute inexcusable de l’employeur. Sept fois de suite, il s’est débrouillé pour échapper à toute sanction financière.

Parmi les divers motifs d’inopposabilité invoqués :

– la lettre de la CPAM avait été adressée au 9, quai Jusles Guesde et non au 13, quai Jules Guesde (c’est le même site, il y a deux entrées !)

– ou bien : La lettre de la Caisse invitant l’employeur et le salarié à venir consulter le dossier avant sa clôture est arrivée… avec un jour de retard.

– ou bien encore : Le destinataire était Sanofi Recherche et Développementet non Sanofi Chimie (les deux entités sont imbriquées. Leur séparation n’est qu’administrative)…

UN HOLD UP ANNUEL DE 20 MILLIONS D’EUROS

Dans 40% des cas, l’employeur dont la faute inexcusable a été reconnue obtient que le jugement lui soit « inopposable ».

320 fois condamné, Eternit n’a rien payé

Chaque année, de 800 à 1000 fautes inexcusables de l’employeur sont reconnues par des TASS pour des maladies professionnelles liées à l’amiante.

Dans 40% des cas l’employeur est condamné, mais ne paye rien. 20 millions d’euros sont ainsi imputés à la Branche AT-MP et non à l’employeur fautif (chiffre officiel sans doute sous-estimé).

L’ avocat soulève un vice de forme de la caisse primaire et plaide le « non respect du caractère contradictoire de l’instruction du dossier » pour obtenir que la décision ne lui soit pas opposable.

Dans ce domaine, Eternit est champion toutes catégories.

« Depuis 1999, explique Jean-François Borde, président du Caper Bourgogne, Eternit à Vitry-en-Charollais a été 320 fois condamné. Le montant total des indemnisations qu’il aurait dû payer se monte à 14 millions d’euros pour l’établissement de Vitry-en-Charollais et à 33 millions d’euros pour l’établissement de Thiant dans le Nord.

Vers 2003-2004, il a même réussi à se faire rembourser une grande partie des cotisations que l’entreprise avait versées à la Sécurité sociale : 1.538.000 euros remboursés en 2003, 130.000 euros en 2004 et 235.000 euros en 2005… »

CE QUE DIT L’ARTICLE 66 DE LA LOI

L’exposé des motifs

Après la reconnaissance d’une faute inexcusable, quand la caisse primaire se retourne vers l’employeur pour récupérer les indemnités qu’elle a versée aux assurés, « dans plus de la moitié des cas (56%), ces sommes ne peuvent être effectivement récupérées ».

Une fois sur quatre c’est en raison de la disparition ou de l’insolvabilité des employeurs.

Mais, dans tous les autres cas, « les sommes non recouvrées (près de 20 millions d’euros) sont afférentes aux sinistres dans lesquels l’employeur se prévaut de l’inopposabilité »

Le texte :

Un nouvel article (Art. L. 452-3-1) a été ajouté au Code de la Sécurité sociale :

« Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des dispositions des articles L. 452-1 à L. 452-3. »

 

SUZANNE : " Ce n'est pas une entreprise qui reconnaîtra ses torts d'elle-même"

Maryse et Suzanne ont chacune perdu leur mari, décédé d’un mésothéliome. Elles ont décidé de poursuivre leur employeur, Alstom et Babcock, afin de faire reconnaître la faute inexcusable de ces entreprises. Elles viennent de gagner leur procès au bout de deux ans environ. La reconnaissance de cette faute était leur première motivation. Elles expriment leur satisfaction et leur soulagement tout en soulignant que cette victoire ne remplacera pas la perte douloureuse de leur compagnon.

 » J’ai du mal à accepter de l’argent en contrepartie de la vie de mon mari « ,dit Suzanne, 76 ans.

Son mari est tombé malade en 1990. Il est mort d’un mésothéliome en 1999, à l’âge de 71 ans.

Pour Suzanne, la reconnaissance de la faute de son employeur, Babcock, primait sur l’argent.

Le jugement a été prononcé le 10 octobre dernier par le Tass de Paris. Elle, aussi, attend le jugement écrit et ne sait pas si cette société va faire appel. Elle a obtenu 135.000 euros.

« Je sais qu’au Fiva, on est presque sûr d’obtenir une réparation financière.

Je comprends que l’on puisse avoir besoin d’argent et que l’on veuille être certain d’avoir gain de cause, mais pour moi il est dommage de ne pas essayer de faire condamner une entreprise responsable de la contamination de ses employés. Ce n’est pas elle qui reconnaîtra ses torts d’elle-même ! C’est grave de mettre la vie des gens en danger pour un travail.

Un procès, c’est plus aléatoire et cela peut prendre du temps même si, dans notre cas, la procédure a été relativement rapide. Elle a duré deux ans.

Finalement, mes fils et moi, nous nous sentons soulagés et contents mais toujours en colère parce que les patrons savaient et n’ont pourtant rien fait ! « 

Propos recueillis par Pierre Luton

Wanner condamné 20 ans après

Lucien Marache avait travaillé comme projeteur d’amiante chez Kaefer Wanner (ex-Wanner Isofi) à Aubervilliers. Il est mort d’un cancer le 1er janvier 1980. Son épouse, contaminée en lavant ses bleus, avait des plaques pleurales. Leur fille, Aline Fabre, en a aussi.

Les projeteurs travaillaient dans un nuage de poussières d’amiante. Ils floquaient des plafonds ou des structures métalliques avec un mélange de colle et d’amiante en poudre projeté. Ils avaient des amas de fibres d’amiante dans le nez, la gorge, les yeux… Ils n’étaient ni informés ni protégés.

En 1977 Lucien, reconnu en maladie professionnelle avec un taux d’incapacité de 50%, avait envoyé une lettre à Simone Weil, ministre de la Santé. « Ma santé est irrémédiablement compromise », écrivait-il. Il mettait en cause la direction et le médecin du travail : « responsables de la mort de plusieurs de mes compagnons de travail ». Il en donnait la liste.

Une véritable hécatombe industrielle sévit chez Kaefer Wanner (qui prospère aujourd’hui dans les activités de retrait d’amiante !).

Aline et son frère ont eu le courage d’engager une action en faute inexcusable. Le Tass de Cergy leur a donné raison en condamnant l’employeur.

Actions en justice

Alstom : une vie brisée par l'amiante

Jeannine avait travaillé près de 30 ans pour Alstom au Bourget, puis à la Courneuve. Elle occupait des postes administratifs dans un bureau proche de l’atelier où les ouvriers assuraient le montage des turbines. L’amiante y était omniprésente.

Atteinte d’un mésothéliome reconnu en maladie professionnelle, elle s’est battue à la fois contre son cancer et contre Alstom, responsable de sa maladie.

En 2011, la faute inexcusable d’Alstom a été reconnue par le Tass de Bobigny, mais avec des indemnisations qui sous-estimaient l’importance de ses préjudices. Elle a fait appel.

La maladie a été plus rapide que la Justice. Elle est décédée en août 2014.

Son époux, atteint lui aussi d’une grave maladie, a poursuivi cette procédure avec le soutien de l’Addeva 93.

L’établissement du Bourget est inscrit sur les listes ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité « amiante ». Alstom ne pouvait ignorer le danger.

L’affaire a été plaidée le 18 juin. La cour d’appel de Paris rendra son jugement en octobre.

HENRI (Cegelec Alstom La Courneuve) : la véridique histoire d'un incroyable parcours du combattant

S’il était permis de plaisanter sur des sujets touchant à la santé et à la vie humaine, on dirait sans hésiter qu’Henri Boumandil devrait figurer dans le Guiness des records. Atteint de deux maladies liées à l’amiante, des plaques pleurales et une asbestose, il a dû engager depuis 1987 un incroyable marathon judiciaire. Il était encore le 19 février devant la Cour d’appel de Paris.

« J’ai travaillé pendant 16 ans chez CEGELEC – Alstom, explique Henri, le secrétaire de l’Addeva 93. En 1987 j’ai eu des plaques pleurales liées à l’amiante. La Caisse primaire a refusé deux fois de reconnaître la maladie professionnelle. En 1997, j’ai contesté ces refus devant le Tass qui m’a débouté. En 2002, quinze ans après la première déclaration, à l’issue de onze audiences, la Cour d’appel de Paris m’a enfin donné gain de cause. La cour de cassation a rejeté le pourvoi d’Alstom. En 2005 j’ai fait condamner Cegelec pour faute inexcusable de l’employeur ».
L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais, la même année, Henri a découvert qu’il avait une seconde maladie : après les plaques qui rigidifiaient la plèvre, est arrivée une asbestose, une fibrose du poumon proprement dit. « Cette fois-ci, la caisse primaire a reconnu sans difficulté la maladie en 2006. On pouvait espérer que le tribunal, qui avait déjà prononcé une condamnation, allait la confirmer pour cette seconde maladie. En fait, après avoir saisi le tribunal, j’ai attendu encore trois ans que l’affaire soit audiencée devant la Cour d’appel de Paris ! »

Le 19 février 2015, escorté d’une délégation de l’Addeva, Henri s’est rendu au Palais de Justice.

Une véritable partie de ping pong ! Quatre avocats représentant chacun une entité industrielle née des restructrurations successives de Cegelec sont intervenus. « Ils se sont livrés à une véritable partie de ping-pong, explique Henri. Chacun à son tour, ils ont tous juré que leur société n’avait aucune responsabilité dans cette affaire » « Les avocats de la partie adverse ont soutenu que je n’avais qu’une seule maladie dont l’aggravation avait déjà été payée, . L’asbestose et les plaques pleurales sont pourtant deux pathologies bien distinctes, l’une affectant le poumon, l’autre la plèvre qui l’enveloppe ». La Cour d’appel rendra sa décision le 16 avril.

Henri a cessé de compter les radios, les scanners, EFR, lavages broncho-alvéolaires qu’il a subis depuis le début de l’aventure. Il a 83 ans. Il est plus déterminé que jamais, mais il commence à trouver le temps long….

Qui d’autre qu’un militant associatif et syndical chevronné comme lui aurait pu suivre un tel parcours du combattant sans jamais se décourager ?

 

HENRI (Cegelec La Courneuve) : "je suis condamné à vivre encore trois ans"

Henri a quatre-vingt un printemps. Il était électricien chez Alstom. Depuis 1987 il n’a cessé de se battre pour faire valoir ses droits. Sa ténacité exemplaire devrait lui valoir une place dans le Livre des records.
La cour d’appel de Paris vient de me convoquer pour une audience… le 19 février 2015 ! Me voici donc condamné à vivre encore trois ans !

Je serai alors dans ma quatre-vingt-quatrième année. J’espère que je serai encore de ce monde. Ainsi que mon avocat…

Je me souviens de ma première déclaration pour mes plaques pleurales. C’était en 1987, il y a 25 ans déjà…

Il a fallu 15 années de procédure judiciaire devant le Tribunal des Affaires de la Sécurité sociale (le Tass), puis en Cour d’appel, puis en Cour de cassation pour que soient définitivement reconnues la maladie professionnelle et la faute inexcusable en mai 2005.

Il a fallu argumenter devant le tribunal du contentieux de l’incapacité (le TCI) pour obtenir que le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) soit réajusté de 6% à 13%.

Avec l’arrivée d’une asbestose, liée elle aussi à l’amiante, mon état de santé s’est aggravé : cette deuxième maladie affectait non plus l’enveloppe du poumon (la plèvre) mais l’intérieur du poumon lui-même (le parenchyme pulmonaire). Ma fonction respiratoire s’est altérée. Il a fallu encore se battre pour obtenir un certificat médical initial pour déclarer cette deuxième maladie professionnelle, se battre pour la faire reconnaître en juin 2006.

Il a fallu retourner à nouveau devant le TCI pour que le taux d’incapacité soit porté à 20% en juin 2009.

Puis retourner devant le Tribunal des Affaires de la Sécurité sociale pour faire rejuger la faute inexcusable d’Alstom pour cette seconde maladie, point de passage obligé pour faire valoir mes droits. Les avocats d’Alstom ont prétendu que l’asbestose avait déjà été jugée. La présidente les a crus et m’a débouté le 20 février 2012 .

J’ai dû faire appel. La cour a reçu ma demande et m’a donné rendez-vous… dans trois ans ! Entre le 31 mars 1987 et le 20 février 2012, j’ai passé 34 radios, 13 scanners thoraciques, 18 explorations fonctionnelles respiratoires, et 6 fibroscopies bronchiques, dont trois avec lavage broncho-alvéolaire. Dois-je avoir honte de coûter aussi cher à la Sécurité sociale ?

J’ai répondu à 18 convocations de 9 experts. Je me suis présenté à 25 audiences des tribunaux (Tass, cour d’appel, TCI). Dois-je avoir honte de coûter aussi cher à la Justice ?

L’engorgement des tribunaux et le manque de moyens des juges me condamnent à vivre encore trois ans. On se retrouve en 2015. Je vous raconterai la suite de mes tribulations devant les tribunaux.

Henri

(La Courneuve)

Article tiré du Bulletin de l’Andeva n°39 (mai 2012)

 

JOCELYNE, CYRILLE, JANINE, CORALIE, AURELIA (Wanner Isofi) : "Nous irons jusqu'au bout"

Elles ont eu la satisfaction de voir un tribunal reconnaître la faute inexcusable de l’employeur et indemniser leurs préjudices. Mais rien ne remplacera la perte d’un époux ou d’un père.

Dans le bulletin N° 14 une double page évoquait les conditions de travail des projeteurs d’amiante chez Wanner Isofi. L’article parlait de Daniel et Christian, deux frères, morts de l’amiante. Leurs veuves ont voulu apporter leur témoignage sur les moments douloureux qu’elles et leurs filles ont vécu, mais aussi sur le combat judiciaire qu’elles ont eu le courage de mener.

J’avais quarante-trois ans

« J’avais 43 ans quand Daniel est décédé, explique Jocelyne. « Les moments les plus durs furent les derniers mois avant son hospitalisation : aller travailler en le laissant assis sur une chaise où il venait de passer la nuit, le téléphone devant lui avec mon numéro au bureau. Un jour on m’a appris que le SAMU l’avait transporté à l’hôpital de Créteil. Pour lui rendre visite, j’avais 32 stations de métro avant d’arriver… Le mois de décembre 1988 restera dans ma mémoire toute ma vie. La dernière semaine les médecins l’avaient endormi. Il n’y avait plus rien à faire qu’à attendre qu’on me dise : « votre mari est mort. »

Et puis il y eut l’absence : savoir qu’il ne sera plus jamais là. Imaginer encore l’entendre frapper. Subir la solitude, le chagrin, et voir la tristesse de sa fille, qui n’admet pas l’injustice de perdre son père à 16 ans.

Janine, sa belle-sœur, avait 49 ans lorsque Christian est mort. Coralie et Aurérila, ses filles, avaient 25 et 22 ans. Elle évoque la période de sa maladie, qu’elle a ressenti comme une longue déchéance physique, morale et mentale, les soins longs, pénibles et douloureux et l’issue fatale. « II se savait condamné, mais gardait tout de même un petit espoir ».

« Comment s’en sortir après avoir vécu tout cela, avec lui qui n’est plus là, qui ne sera plus jamais là ? La solitude, le désespoir, vivre sans lui. Il faut se redresser, vivre dans son souvenir, toutes les trois, s’aider mutuellement, même si cela ne sera plus jamais pareil. Et puis le temps passe. On pense toujours à lui. Pourquoi est-il mort si jeune ? S’il n’y avait pas eu l’amiante, il serait en vie et en bonne santé et nous serions toujours une famille unie et heureuse

Se battre pour que tout le monde sache

Alors vient le moment de se battre pour le venger, pour nous sentir mieux, pour que le monde sache comment l’amiante peut détruire une famille. ».

Cyrille, la fille de Jocelyne et de Daniel avait 16 ans lorsqu’elle a perdu son père.« Le plus dur, explique-t-elle, c’est d’accepter. Il faut surmonter ses angoisses, sa peur, sa tristesse. Se forcer à penser à autre chose. Faire des projections sur l’avenir. Et tout doucement, jour après jour, on se rend compte que la vie devient moins dure. Parfois elle peut être belle. Il faut reprendre le dessus. Il faut se battre, pour lui, pour nous, pour qu’il soit fier de nous ».

Pour Janine, la décision d’engager une action en faute inexcusable de l’employeur ne fut pas facile à prendre. « Il fallait remuer tout cela de nouveau… »

Pour Jocelyne aussi ce fut difficile. « On avait mis de côté beaucoup de choses. C’était dur de les faire ressortir au moment où l’on commençait à aller mieux. Mon mari s’était battu pour faire reconnaître sa maladie professionnelle. J’ai reçu un coup de fil de la Sécurité sociale m’annonçant qu’il était reconnu un quart d’heure après le coup de fil de l’hôpital m’annonçant qu’il venait de mourir. Ce souvenir restera gravé en moi pour la vie ».

Je n’avais jamais mis les pied dans un tribunal

Et pourtant elles ont décidé toutes les deux d’engager une action judiciaire. « Daniel et Christian étaient deux bagarreurs qui refusaient l’injustice » explique Jocelyne. « Mon mari aurait voulu qu’on le fasse, dit Janine. J’en ai discuté avec mes filles. Et puis on a pris la décision ».

Aller en justice, c’est d’abord s’avancer sur un terrain inconnu. « Je n’avais jamais vu une salle d’audience, sauf à la télé, raconte Jocelyne. Nous avons beaucoup apprécié le travail des avocats. Avant l’audience, nous avons pu lire les conclusions qu’avaient rédigées François Lafforgue et Sylvie Topaloff. C’était tout ce que nous avions vécu. Ils avaient fait un travail énorme. C’était poignant. La plaidoirie de François a ému l’auditoire. Elle était sobre et émouvante. Il a parlé avec des mots simples de ces deux frères tués par l’amiante et des conséquences sur les deux familles. Nous avons pleuré en l’écoutant. »

« Notre avocat a su se mettre à notre place, dire ce que nous ressentions, dit Cyrille. Nous avons écrit une lettre pour remercier François et Sylvie. La plaidoirie adverse a essayé de défendre l’indéfendable… »

L’amitié des collègues de travail

« Les collègues de travail connaissaient Daniel et Christian depuis quinze ans,dit Jocelyne. Ils n’ont pas hésité à faire des témoignages. Leur amitié nous a soutenues. Ils ont tenu à venir à l’audience. »

Le Tribunal des Affaires de Sécurité sociale de Meaux a condamné l’employeur. Avec des indemnisations bien plus élevées que d’ordinaire. « J’étais satisfaite, mais aussi un peu perturbée, raconte Janine. En fait j’étais surtout contente pour mes filles ».

« Ce n’est pas pour l’argent que nous nous sommes battues. Jusqu’à 50 ans, j’ai toujours vécu sans en avoir beaucoup. Nous avons obtenu justice. La responsabilité de l’employeur est reconnue. Mais cela ne nous rendra jamais ce que nous avons perdu ».

Nous irons jusqu’au bout

« Ce procès, je l’attendais depuis longtemps, explique Cyrille. Ma mère a hésité. Pour moi une faute grave avait été commise. Il était normal d’aller en justice. Il fallait leur faire payer. C’était le seul moyen. L’employeur fera peut-être appel, pour gagner du temps. Mais nous irons jusqu’au bout. Etre indemnisé c’est normal. Il n’y a pas à culpabiliser. Nous tenons à remercier l’Addeva 93 et l’Andeva qui nous ont conseillées, accompagnées et soutenues jusqu’au procès, et nous ont permis d’être bien défendues »

MARYSE : "Je voulais entendre dire qu'Alsthom avait mis en danger la vie d'êtres humains"

Maryse et Suzanne ont chacune perdu leur mari, décédé d’un mésothéliome. Elles ont décidé de poursuivre leur employeur, Alstom et Babcock, afin de faire reconnaître la faute inexcusable de ces entreprises. Elles viennent de gagner leur procès au bout de deux ans environ. La reconnaissance de cette faute était leur première motivation. Elles expriment leur satisfaction et leur soulagement tout en soulignant que cette victoire ne remplacera pas la perte douloureuse de leur compagnon.

« Avec le temps, je me suis dit ça irait mieux. Mais, aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de rage » , témoigne Maryse, 53 ans, qui a perdu son mari en 2000.

Le frère de son mari est mort en juillet 2000 d’un mésothéliome. En septembre, son mari, âgé de 50 ans, est tombé malade et est également décédé d’un mésothéliome en novembre de la même année.

Maryse vient de gagner contre la société Alstom où son mari et son beau-frère ont été contaminés par l’amiante.

« Le fait que cette société ait été condamnée pour faute inexcusable me soulage, mais, en même temps, je sais que mari ne sera jamais remplacé. Je n’ai pas encore tourné la page. « 

Elle s’empresse d’ajouter qu’elle attend le jugement écrit et qu’elle ne sait toujours pas si Alstom va faire appel du jugement. Le jugement a été prononcé le 12 décembre dernier par le Tass (Tribunal des affaires de Sécurité sociale) de Bobigny.

Maryse estime que le procès a été assez rapide mais aussi éprouvant. Toute l’année 2003 a été une année de procédure avec une remise d’audience.

« Nous avons obtenu environ 150.000 euros pour le décès de mon mari et les préjudices subis par ma fille et moi. Mais ce n’est pas vraiment l’argent qui m’intéresse. Je voulais avant tout obtenir une reconnaissance et entendre dire qu’Alstom avait mis en danger des êtres humains.

Bien sûr, l’argent est bienvenu car j’ai du mal à gérer ma vie en ce moment et à entretenir la maison que nous avions achetée ensemble.

Au final, j’aurais toujours obtenu cette reconnaissance. Je suis arrivée à mes fins et j’ai aussi pu témoigner et prévenir les collègues de mon mari et tous les autres afin qu’ils ne subissent pas ce que nous avons subi. « 

 

ROSA : « J’ai fait reconnaître la maladie professionnelle de mon père 25 ans après son décès »

« Mon père, Benvenuto FINA, a découvert qu’il avait un cancer du poumon en 1978, par une radio chez le médecin du travail.

Il nous a répété que ce cancer ne venait pas des quelques cigarettes qu’il fumait mais de son travail, où il respirait beaucoup de poussières et de fumées. Préoccupée par son état de santé, je n’ai pas prêté attention à ses paroles.

On ne parlait alors pas beaucoup de maladies professionnelles et encore moins des dangers de l’amiante.

J’étais technicienne à la Sécurité sociale, je traitais les dossiers d’accidents du travail, mais nous étions très peu formés sur les maladies professionnelles gérées par les médecins conseils. Mon père travaillait dans une entreprise de chauffage climatisation. Chaudronnier, traceur, soudeur, tôlier, il était continuellement exposé à l’amiante, sans se douter de la perversité de ce produit qu’il trouvait très efficace.

Il aimait son métier. Il en était fier.

Ce cancer du poumon, deux ans après un terrible accident de voiture qui avait causé la mort de sa femme et lourdement handicapé son jeune fils, fut un traumatisme pour toute la famille.

Mon père était un homme fort, qui cachait ses angoisses à ses enfants, mais je devinais sa souffrance d’être seul, sans sa femme, face à cette épreuve.

Après son opération, il avait tenté sans succès de reprendre son activité.
Quelques années après, ce fut l’horreur des hospitalisations répétées, les bouteilles d’oxygène, l’amaigrissement, les angoisses nocturnes, le refus de voir ses amis par honte de sa déchéance, l’envie d’en finir…

Il ne voulait pas rester à l’hôpital. Il est décédé chez lui, dans les bras de ma soeur et moi, le 28 avril 86.

Des années après, lors d’une formation maladies professionnelles, j’ai réalisé que l’amiante avait tué mon père. J’ai été prise de remords de ne pas avoir pris ses paroles en compte. Par mon travail, j’étais en contact avec l’Addeva 93. Alain m’a expliqué que, suite à l’action de l’Andeva, une maladie dont la première constatation médicale est intervenue entre le 1er janvier 1947 et décembre 1998 pouvait être reconnue, y compris après un décès.

à ma retraite en 2009, je suis devenue bénévole de l’Addeva 93. J’ai repris le dossier de mon père. J’avais gardé ses certificats de travail et ses fiches de paye, mais je n’avais aucune pièce médicale et pas trace de ses collègues.

J’ai retrouvé son médecin de famille en retraite, qui m’a fait un certificat confirmant l’origine du décès. J’ai eu son dossier hospitalier et un certificat médical initial. Un frère et un cousin avaient travaillé avec lui. Ils ont témoigné sur ses expositions à l’amiante. Et sa maladie professionnelle a été enfin reconnue !

Puis, j’ai appris que l’Andeva avait fait passer le délai de prescription du Fiva de 4 ans à 10 ans et que j’avais jusqu’au 31 décembre 2013 pour monter les dossiers de ma famille, aidée par l’Addeva.

Il faut trouver le courage de se replonger dans les tristes souvenirs et de revivre des moments si difficiles. Que de larmes versées en décrivant sur les attestations la joie de vivre de notre père et sa lente agonie !

En décembre 2012 le FIVA nous a fait une offre d’indemnisation.
Nous n’osions pas y croire, cela nous semblait irréel. Cela ne nous a pas rendu notre père, mais justice lui a été rendue, après tant d’années, cela nous a mis du baume au coeur. Je pense que s’il peut nous voir, il doit être très content. »

Rosa FINA, épouse Geslin

Sanofi use et abuse de l'inopposabilité

Sept fois condamné pour des faits graves, SANOFI a réussi à ne pas débourser un sou.

En mai 2012, le tribunal des Affaires de la Sécurité sociale a reconnu la faute inexcusable de Sanofi, après le décès d’un ouvrier du Centre de Production de Vitry (94), mort d’un cancer broncho-pulmonaire dû à l’amiante.
Septième procès, septième condamnation ! Et pourtant, à chaque fois, que d’amertume et de colère chez les familles, quand elles apprennent que Sanofi va réussir à ne rien payer !
A chaque fois, son avocat soutient en effet que la décision du Tass lui est « inopposable », du fait que la caisse primaire n’a pas respecté le caractère contradictoire de l’instruction du dossier.
A chaque fois, le tribunal lui en donne acte et déclare le jugement « inopposable ».
En pareil cas, c’est la branche AT-MP de la Sécurité sociale qui verse les indemnités et non l’employeur fautif.

En sept procès, Sanofi a ainsi économisé une somme totale de plus d’un million d’euros (sans compter les majorations de rentes) !

En 2010 l’Addeva 93 et le syndicat CGT retraités (adhérent de l’Addeva) avaient rencontré le directeur de la CPAM 94, qui s’était engagé à prendre diverses mesures, dont la notification dans les délais légaux et en recommandé avec A.R. des décisions de la caisse.
Malgré cela, en 2012, le même scénario s’est reproduit pour la septième fois ! Interpellé par la presse, le directeur a dit qu’en 2013 une application informatique ferait l’envoi automatisé de courriers recommandés avec A.R. Espérons que cela mettra fin à une gestion laxiste, exploitée par des employeurs peu scrupuleux pour ne pas assumer les conséquences financières de leurs fautes.

 

SERGE (Sanofi Vitry) : "la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue"

CENTRE DE PRODUCTION DE VITRY (94)
L’amiante ? On en parlait peu dans ce centre de production pharmaceutique, où bien d’autres produits dangereux étaient manipulés. Il y a quatre ans une recherche systématique des victimes a été engagée avec l’appui du CHSCT, du syndicat CGT des retraités et de l’Addeva 93.
Ce travail de longue haleine commence à porter ses fruits : des indemnisations ont été obtenues, la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue, une bataille pour la reconnaissance comme site amianté est engagée.
La presse en parle… Serge Franceschina est l’un des animateurs de l’Addeva 93. Il apporte ici son témoignage.

« Je suis parti en retraite en décembre 2004, explique Serge. Deux mois plus tard, le service médical présentait un tableau de toutes les déclarations en maladies professionnelles connues de 1975 à 2005 : 43 maladies étaient dues à l’amiante. Un chiffre énorme, effarant ! Nous avons commencé à mesurer l’ampleur du drame, qui touchait les salariés de notre entreprise.

Rechercher les victimes

Nous avons commencé à rechercher des victimes et des familles de victimes décédées, pour leur proposer notre aide. Le syndicat CGT des retraités a envoyé une trentaine de lettres. Nous avons reçu quatre ou cinq réponses. C’était un début…
Un tract d’information a été distribué dans l’usine. Le bouche-à-oreille a fonctionné : des gens sont venus nous dire qu’ils connaissaient un collègue malade, ou qu’ils avaient entendu parler de « quelqu’un qui connaîtrait quelqu’un… » Nous avons ainsi retrouvé cinq nouvelles victimes.
Pour mener à bien ce travail de fourmi, j’ai eu dès le début le soutien du syndicat CGT des retraités.
Avec l’Addeva 93 j’ai appris à monter un dossier d’indemnisation pour une caisse primaire ou le Fiva et à engager des actions en faute inexcusable de l’employeur. Après plusieurs années de travail commun le syndicat des retraités a adhéré à l’association comme personne morale. Nous avons obtenu que les salariés et les retraités puissent passer un scanner. L’un d’eux s’est découvert un cancer broncho-pulmonaire. Il a pu être opéré à temps.

Un dossier de 378 pages

L’importance du nombre de maladies et de décès nous a poussé à demander l’inscription de l’établissement sur la liste ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité. Nous étions conscients des difficultés, mais bien décidés à mener ce combat. Nous avons réalisé un dossier de 378 pages avec une liste des victimes connues, des témoignages, et des documents (fiches techniques, procès-verbaux de CHSCT, analyses, photos, plans de retrait …)
Nous avons tenu une conférence de presse la veille de la manifestation du 10 octobre en expliquant pourquoi nous demandions le classement de l’établissement. Nous en étions alors à 69 victimes recensées.
Le 10 octobre, nous étions à la manifestation nationale de l’Andeva. Dans le cortège, la veuve d’un collègue a pris contact avec nous… Nous en sommes maintenant à 70 maladies dues à l’amiante, dont 28 décès.

La responsabilité de l’employeur est reconnue

Nous aidons des victimes et des familles à engager des actions en faute inexcusables devant le TASS. Des procédures avaient été gagnées, il y a quelques années au centre de recherche de Vitry et à Romainville. Le 24 novembre, nous avons remporté notre première victoire au centre de production de Vitry. Ce jugement a eu un large écho médiatique (AFP, Parisien, Figaro, FR3…). Quatre autres dossiers vont suivre…

SORAYA et SERGE (Sanofi) - Faute inexcusable de l'employeur : un combat pour la justice

Monsieur Berkane aurait pu vivre des années heureuses avec sa famille. Son travail chez Sanofi l’a tué. Comment dire le chagrin et la rage de ses proches face à ce cancer évitable ?
Soraya a engagé une action en faute inexcusable de l’employeur. La faute a été reconnue, mais Sanofi n’a rien payé.

Elle s’est jurée de se battre jusqu’au bout contre cette injustice. Avec Serge, un ancien de chez Sanofi, ils racontent l’action menée avec le soutien de l’Addeva 93.

« J’ai perdu mon père d’un cancer de l’amiante. Il avait 63 ans. Sanofi a été condamné… à ne rien payer ! »

Pourquoi as-tu décidé d’engager ce combat ?

Soraya : J’ai perdu mon père âgé de 63 ans en 2010, à la suite d’un cancer broncho-pulmonaire qui l’a emporté en 6 mois. C’était une maladie professionnelle liée à l’amiante qu’il avait respiré chez Sanofi-Aventis à Vitry, dans le Val-de-Marne.

C’est le 80ème cas de maladie liée à l’amiante recensé sur ce site. 30 personnes sont décédées.

Nous avons engagé une action en justice contre Sanofi. Le 15 mars 2012, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Créteil a reconnu la faute inexcusable de l’employeur mais Sanofi a plaidé « l’inopposabilité » de la décision, arguant d’une faille dans le dossier (une erreur d’adresse dans un envoi de la caisse primaire de Sécurité Sociale) pour se soustraire à ses obligations et fuir ses responsabilités. Sanofi a même osé faire appel, alors qu’il ne déboursera pas un seul euro ! C’est honteux ! La prochaine audience aura lieu… le 27 février 2014.

J’ai voulu dénoncer cette injustice et la faire cesser.

Qui paye lorsque la décision est « inopposable » à l’employeur condamné ?

Serge : C’est la Branche Accidents du Travail – Maladies professionnelles (AT-MP), qui est alimentée par les cotisations patronales. Autrement dit, ce n’est pas l’employeur fautif, c’est la collectivité des employeurs, petits ou grands, qui en supporte le charge. L’indemnisation est mutualisée ; des PME qui n’ont jamais vu d’amiante mettront la main à la poche, mais pour un grand groupe comme Sanofi, la condamnation sera indolore.

Comment avez-vous réussi à faire percer publiquement ce scandale ?

Soraya : Avec Serge et le soutien de l’Addeva 93, nous avons alerté la presse en commençant par Gazelle, un petit journal pour les femmes immigrées de la deuxième génération.

Une brèche s’est ouverte. Des journalistes se sont émus : l’AFP, Le Parisien, Marianne, Le Canard Enchaîné, Le Point, RMC, l’Humanité, l’Express, France 3, France 24… se sont saisis de l’affaire.

J’ai aussi demandé aux politiques s’ils trouvaient normal que la Sécurité Sociale paye au lieu du laboratoire reconnu responsable. J’ai reçu des réponses de plusieurs partis, de plusieurs candidats à la présidence de la République, de la garde des Sceaux, du Ministère des Affaires sociale et de la Santé…

Serge : nous avons aussi alerté le directeur de la caisse primaire du Val-de- Marne. En additionnant les sommes octroyées par le tribunal aux victimes et aux familles, nous avons chiffré le coût pour la branche AT-MP : plus de 800 000 euros en 3 ans !

Quels ont été les résultats de votre action ?

Soraya : J’ai reçu une réponse du ministère de la Justice. Il me confirme que la reconnaissance de l’inopposabilité par le tribunal « interdit à la caisse de récupérer » auprès de l’employeur « les compléments de rente et les indemnités versées par elle au salarié malade ou à ses ayants droit, après la reconnaissance de la faute inexcusable ». Il estime que cela aboutit à « des conséquences inéquitables puisque l’employeur responsable d’une faute inexcusable n’en assume pas les conséquences financières ».

La lettre se terminait par le texte du nouvel article que le gouvernement souhaitait ajouter au Code de la Sécurité sociale pour empêcher ces abus. La loi a maintenant été votée.

Serge : Nous avons remporté une belle victoire en obtenant cet article qui devrait mette fin à ces pratiques scandaleuses.

Mais nous devons rester vigilants. Les patrons peuvent trouver d’autres moyens de ne pas payer. Certains pratiquent déjà la contestation systématique dès le stade de la déclaration pour tout accident et toute maladie imputable au travail.

« La loi de financement de la Sécurité sociale devrait mettre fin à cette pratique abusive. »

Trucs et astuces de l’employeur

Sanofi-Aventis a été condamné sept fois pour faute inexcusable de l’employeur. Sept fois de suite, il s’est débrouillé pour échapper à toute sanction financière.

Parmi les divers motifs d’inopposabilité invoqués :

– la lettre de la CPAM avait été adressée au 9, quai Jusles Guesde et non au 13, quai Jules Guesde (c’est le même site, il y a deux entrées !)

– ou bien : La lettre de la Caisse invitant l’employeur et le salarié à venir consulter le dossier avant sa clôture est arrivée… avec un jour de retard.

– ou bien encore : Le destinataire était Sanofi Recherche et Développementet non Sanofi Chimie (les deux entités sont imbriquées. Leur séparation n’est qu’administrative)…

UN HOLD UP ANNUEL DE 20 MILLIONS D’EUROS

Dans 40% des cas, l’employeur dont la faute inexcusable a été reconnue obtient que le jugement lui soit « inopposable ».

320 fois condamné, Eternit n’a rien payé

Chaque année, de 800 à 1000 fautes inexcusables de l’employeur sont reconnues par des TASS pour des maladies professionnelles liées à l’amiante.

Dans 40% des cas l’employeur est condamné, mais ne paye rien. 20 millions d’euros sont ainsi imputés à la Branche AT-MP et non à l’employeur fautif (chiffre officiel sans doute sous-estimé).

L’ avocat soulève un vice de forme de la caisse primaire et plaide le « non respect du caractère contradictoire de l’instruction du dossier » pour obtenir que la décision ne lui soit pas opposable.

Dans ce domaine, Eternit est champion toutes catégories.

« Depuis 1999, explique Jean-François Borde, président du Caper Bourgogne, Eternit à Vitry-en-Charollais a été 320 fois condamné. Le montant total des indemnisations qu’il aurait dû payer se monte à 14 millions d’euros pour l’établissement de Vitry-en-Charollais et à 33 millions d’euros pour l’établissement de Thiant dans le Nord.

Vers 2003-2004, il a même réussi à se faire rembourser une grande partie des cotisations que l’entreprise avait versées à la Sécurité sociale : 1.538.000 euros remboursés en 2003, 130.000 euros en 2004 et 235.000 euros en 2005… »

CE QUE DIT L’ARTICLE 66 DE LA LOI

L’exposé des motifs

Après la reconnaissance d’une faute inexcusable, quand la caisse primaire se retourne vers l’employeur pour récupérer les indemnités qu’elle a versée aux assurés, « dans plus de la moitié des cas (56%), ces sommes ne peuvent être effectivement récupérées ».

Une fois sur quatre c’est en raison de la disparition ou de l’insolvabilité des employeurs.

Mais, dans tous les autres cas, « les sommes non recouvrées (près de 20 millions d’euros) sont afférentes aux sinistres dans lesquels l’employeur se prévaut de l’inopposabilité »

Le texte :

Un nouvel article (Art. L. 452-3-1) a été ajouté au Code de la Sécurité sociale :

« Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des dispositions des articles L. 452-1 à L. 452-3. »

 

SUZANNE : " Ce n'est pas une entreprise qui reconnaîtra ses torts d'elle-même"

Maryse et Suzanne ont chacune perdu leur mari, décédé d’un mésothéliome. Elles ont décidé de poursuivre leur employeur, Alstom et Babcock, afin de faire reconnaître la faute inexcusable de ces entreprises. Elles viennent de gagner leur procès au bout de deux ans environ. La reconnaissance de cette faute était leur première motivation. Elles expriment leur satisfaction et leur soulagement tout en soulignant que cette victoire ne remplacera pas la perte douloureuse de leur compagnon.

 » J’ai du mal à accepter de l’argent en contrepartie de la vie de mon mari « ,dit Suzanne, 76 ans.

Son mari est tombé malade en 1990. Il est mort d’un mésothéliome en 1999, à l’âge de 71 ans.

Pour Suzanne, la reconnaissance de la faute de son employeur, Babcock, primait sur l’argent.

Le jugement a été prononcé le 10 octobre dernier par le Tass de Paris. Elle, aussi, attend le jugement écrit et ne sait pas si cette société va faire appel. Elle a obtenu 135.000 euros.

« Je sais qu’au Fiva, on est presque sûr d’obtenir une réparation financière.

Je comprends que l’on puisse avoir besoin d’argent et que l’on veuille être certain d’avoir gain de cause, mais pour moi il est dommage de ne pas essayer de faire condamner une entreprise responsable de la contamination de ses employés. Ce n’est pas elle qui reconnaîtra ses torts d’elle-même ! C’est grave de mettre la vie des gens en danger pour un travail.

Un procès, c’est plus aléatoire et cela peut prendre du temps même si, dans notre cas, la procédure a été relativement rapide. Elle a duré deux ans.

Finalement, mes fils et moi, nous nous sentons soulagés et contents mais toujours en colère parce que les patrons savaient et n’ont pourtant rien fait ! « 

Propos recueillis par Pierre Luton

Wanner condamné 20 ans après

Lucien Marache avait travaillé comme projeteur d’amiante chez Kaefer Wanner (ex-Wanner Isofi) à Aubervilliers. Il est mort d’un cancer le 1er janvier 1980. Son épouse, contaminée en lavant ses bleus, avait des plaques pleurales. Leur fille, Aline Fabre, en a aussi.

Les projeteurs travaillaient dans un nuage de poussières d’amiante. Ils floquaient des plafonds ou des structures métalliques avec un mélange de colle et d’amiante en poudre projeté. Ils avaient des amas de fibres d’amiante dans le nez, la gorge, les yeux… Ils n’étaient ni informés ni protégés.

En 1977 Lucien, reconnu en maladie professionnelle avec un taux d’incapacité de 50%, avait envoyé une lettre à Simone Weil, ministre de la Santé. « Ma santé est irrémédiablement compromise », écrivait-il. Il mettait en cause la direction et le médecin du travail : « responsables de la mort de plusieurs de mes compagnons de travail ». Il en donnait la liste.

Une véritable hécatombe industrielle sévit chez Kaefer Wanner (qui prospère aujourd’hui dans les activités de retrait d’amiante !).

Aline et son frère ont eu le courage d’engager une action en faute inexcusable. Le Tass de Cergy leur a donné raison en condamnant l’employeur.

 

Risque amiante

DIDIER (maître d'oeuvre et victime, BTP):"Informer tout un chacun sur les risques"

Maître d’œuvre pour divers chantiers dans le bâtiment et les travaux publics et lui-même victime de l’amiante.

Didier Faure est adhérent de l’Addeva 93. Il est maître d’oeuvre pour divers chantiers du BTP et lui-même victime de l’amiante. Quand il évoque les dangers de l’amiante, il sait de quoi il parle : d’abord parce que son métier est de veiller à la sécurité sur les chantiers du bâtiment mais aussi parce ses poumons ont été atteints par l’amiante. Il nous fait partager son expérience.

Quand je suis tombé malade, mon asbestose a été reconnue en maladie professionnelle due à l’amiante. C’est peu après que j’ai décidé de monter une entreprise de bureau d’étude.

Non seulement je ne trouvais pas d’emploi du fait de mon handicap mais c’est à ce moment précis, que j’ai réalisé l’importance de la réglementation du travail (sur les chantiers notamment). Lorsqu’elle n’est pas respectée ou mal appliquée, les accidents de chantier, les maladies professionnelles sont légion. Mon entreprise existe depuis 2007. Sa spécialité est la maitrise d’œuvre amiante : ordonnancement, pilotage et coordination, rédaction de fiches méthodologiques pour les entreprises, suivi de chantier en regard d’un cahier des charges établi par d’autre maîtres d’œuvres ou architectes, promotion de la prévention. Je suis spécialiste du bâtiment. Après plusieurs CAP, j’ai commencé à travailler dans le bâtiment en 1982.

Ensuite, je suis devenu aide métreur puis j’ai suivi une formation pour la rénovation et la construction. Je me suis spécialisé dans les lots de bâtiments. Depuis des années, je ne peux que déplorer les difficultés que nous rencontrons dans la mise en place des consignes de sécurité sur les chantiers.

La charge de travail des agents de la CRAMIF, de l’inspection du travail ou de l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics) est si importante qu’ils ne parviennent pas à faire autant de contrôles qu’il serait nécessaire.

La majorité des intervenants est persuadée de se faciliter la vie en contournant les normes de sécurité. Beaucoup s’imaginent que les respecter serait trop coûteux.

Je pense à l’exemple récent d’un immeuble : l’architecte maître d’œuvre avait fixé des règles de sécurité, dans l’intérêt de ses clients. Mais, sur le chantier, j’ai pu voir qu’aucune n’était respectée : ni pour le montage de l’échafaudage, ni pour les diagnostics sur la présence éventuelle de matériaux dangereux comme l’amiante (pourtant obligatoires avant le début des travaux). J’ai constaté avec effroi que les travaux de réfection du conduit de cheminée en fibrociment avaient commencé sans qu’aucune protection n’ait été mise en place en cas de présence d’amiante.

Personne n’avait non plus prévu de bordereau de suivi des déchets. On ne réfléchit pas, on fonce sans se soucier du danger ni des conséquences éventuelles, sans ne jamais même prendre le temps de chercher les informations en amont. Dans l’immense majorité des cas, sur les chantiers, la réglementation en vigueur n’est pas appliquée.

Et que dire des travaux effectués chez les particuliers ? La plupart d’entres eux sont complètement perdus dans la réglementation. Ils n’en comprennent pas tous les enjeux. Lors de la vente d’un bien immobilier, le propriétaire doit établir des diagnostics énergétiques et de mise aux normes de l’électricité, de la présence de termites, de plomb et d’amiante.

Ces diagnostics fournis avant la vente sont sensés protéger les particuliers. Or la réalité est toute autre. Les diagnostics sont souvent approximatifs et la législation bien ambiguë. Le diagnostiqueur doit-il soulever une moquette pour identifier un sol amianté ? Tous les matériaux susceptibles de contenir de l’amiante sont-il vraiment testés (joints de châssis, enduits, câbles, colle…).

« Dans l’immense majorité des cas, la réglementation n’est pas appliquée sur les chantiers »

Dans la plupart des cas on ne prévient pas les gens des risques qu’ils courent. Les notaires ou les agents immobiliers n’ont ni les compétences ni le temps pour éplucher ces diagnostics afin d’y repérer d’éventuelles lacunes. Quant au particulier s’il a souvent conscience des risques qu’il peut courir avec une électricité défectueuse, le risque amiante lui semble abstrait. D’ailleurs combien savent que les travaux de désamiantage doivent être gérés par une entreprise spécialisée ? Combien se sont posés la question de la présence potentielle d’amiante dans les joints d’une fenêtre à changer, dans la colle du revêtement de leur sol ou même dans certains câbles électriques ?

Pourtant, s’ils sont mal gérés, les travaux sur l’amiante et les déchets qu’ils produisent peuvent empoisonner de façon irréversible ceux qui se trouvent autour. Et qu’en est-il enfin des artisans qui font des travaux chez des particuliers en ignorant la règlementations ou en étant persuadés que les précautions préconisées pour l’amiante sont inutiles ?

Devant ce genre de risque, tout le monde reste un peu muet. On évoque les travaux d’enlèvement d’amiante comme des procédures « de luxe ». On hésite pour des raisons d’argent à faire appel à des professionnels pour le confinement ou la gestion des risques. Que faire alors ? Je crois qu’il faut informer, prévenir tout un chacun des risques. Il faut expliquer l’importance de respecter les procédures. Il faut prévenir un ouvrier des précautions à prendre sur un chantier dès que l’on a le moindre doute. Et pourquoi ne pas proposer des formations aux acheteurs vendeurs, aux notaires et aux agents immobiliers et surtout aux artisans afin de faire circuler l’information ?

Tout le monde a une part de responsabilité.

« Il faut informer, prévenir tout un chacun des risques »

Vécu de la maladie

AHMED (CMMP, Aulnay-sous-Bois) : "Comment vivre normalement avec ce cauchemar de maladie ?

Il y a 12 ans, Ahmed**, un ouvrier du bâtiment, témoignait de sa vie gâchée et de son amertume d’avoir respiré l’amiante sans connaître ses dangers. Il était notamment intervenu à l’usine d’amiante CMMP d’Aulnay. Ahmed nous a quittés peu après avoir écrit ce témoignage que nous lisons avec la même émotion qu’il y a 12 ans.

« Je suis d’origine marocaine, arrivé en France à l’âge de 31 ans avec la ferme volonté de travailler pour vivre mieux. Si j’ai laissé mon pays loin, c’est pour fuir la misère et assurer un avenir digne à ma famille. Donc, je suis venu en France pour travailler et non pour me sacrifier.
J’ai travaillé dans le secteur du bâtiment entre 1970 et 1990, comme maçon dans différentes entreprises, dont Bâtiment Assainissement en 1970 à Aulnay-sous-Bois, au Comptoir des minéraux et matières premières.
Depuis 1990, je suis sans emploi.
Aujourd’hui je suis atteint d’un mésothéliome et je sais ce qu’il représente comme fardeau, avec des douleurs qui ont entraîné mon hospitalisation en 2003. Aujourd’hui, je vis avec cette maladie, après avoir donné le meilleur de moi-même au travail, sans protection et sans information sur les risques professionnels.
J’ai des douleurs, des essoufflements sans le moindre effort, des vertiges même en marchant sans forcer, des maux de tête, une sensibilité aux odeurs, aux bruits et à la vie en groupe, ce qui réduit la vie sociale et mon entourage. Je ne peux plus voir des amis et des gens de la famille comme et quand je veux. Pour les loisirs, là encore, rien à faire, faire du bricolage relève de l’exploit puisque ça devient une corvée. Au moindre effort j’ai les jambes qui tremblent.
Le plus délicat pour ma famille, c’est le changement de mon caractère, moi qui étais calme, je suis devenu facilement irritable, je m’emporte pour rien, ce qui est insupportable d’une part et d’autre part, c’est la difficulté pour tous les enfants de se faire à l’idée que cette maladie peut m’emporter à n’importe quel moment. C’est une épée de Damoclès qui pèse sur ma tête et que toute la famille appréhende gravement.
Comment vivre normalement avec ce cauchemar de maladie.
Le pire, c’est que même après mon départ ma famille souffrira encore à cause du mésothéliome.
Aujourd’hui je suis très amer, je croyais être venu en France pour travailler et vivre, or je découvre que le travail va finir par me tuer à cause de l’amiante. »
______________________
** Le prénom a été changé

CLAUDE (ex enseignante) et JEAN (ex électricien) : "vivre avec un mésothéliome"

Jean Dalla Torre a 82 ans. Au cours d’une vie professionnelle bien remplie, il a été électricien pendant 4 ans.

Claude Aufort a 74 ans. Elle a été prof d’anglais pendant 20 ans dans un vieux lycée délabré de Saint Ouen.
Tous deux ont été exposés dans leur travail aux fibres cancérogènes de l’amiante.
Tous deux ont été rattrapés – des décennies plus tard – par un mésothéliome pleural : Jean en 1994, Claude en 2003.
Ils ont connu le choc de l’annonce, les effets pénibles d’un traitement lourd, la crainte du lendemain…
Le pronostic était sombre. Et pourtant ils sont encore là et nous parlent de leur vie.

« Quand on vit, il n’y a pas l’ombre d’une seconde à perdre »

Comment avez-vous été exposés à l’amiante ?
Jean Dalla Torre : J’ai été électricien pendant quatre ans, de 1958 à 1962, avant d’être agent d’assurance. Je travaillais dans des gaines techniques, je perçais des trous pour passer des chemins de câbles. Quatre ans ont suffi…
Claude Aufort : J’ai été prof d’anglais pendant 20 ans dans un lycée de Saint-Ouen avec des préfabriqués vétustes et mal entretenus. Il y avait sans doute de l’amiante dans les cloisons des couloirs, les dalles de sol, les plaques de faux plafond…
Votre maladie a-t-elle été reconnue ?
Jean : J’étais courtier en assurances, une profession libérale. Ma couverture sociale ne prévoyait pas la reconnaissance en maladie professionnelle. Au Centre hospitalier intercommunal de Créteil, une interne très motivée a fait ressortir que j’avais été exposé comme électricien, à une époque où j’étais affilié au régime général. J’ai pu être indemnisé grâce à elle.
Claude : Mon vieux lycée a été détruit en 1989 et remplacé par un lycée neuf où j’ai passé mes dix dernières années d’enseignement. Je n’ai pas réussi à retrouver de preuve d’exposition et je n’ai donc pas pu faire reconnaître l’origine professionnelle de ma maladie. J’ai été indemnisée par le Fiva, mais je reste convaincue qu’il s’agit d’une maladie professionnelle et je sais que le gardien de l’établissement est mort d’un cancer du poumon.
Comment avez-vous su que vous aviez un mésothéliome ?
Jean : En 1994, lors d’un rassemblement en montagne avec un club d’astronomie, j’ai ressenti de grandes difficultés respiratoires. J’ai passé des examens à l’hôpital intercommunal de Créteil. Le pneumologue m’a annoncé que j’avais un mésothéliome, qu’il n’existait aucun traitement et qu’il me restait environ un an à vivre.
Il m’a demandé si j’acceptais en signant une décharge « à titre humanitaire » de suivre un protocole expérimental avec de l’interféron. J’ai accepté.
Claude : Pour moi, ça a commencé par un mal de dos. J’ai pensé qu’il s’agissait de contractures parce que je ne faisais pas assez de sport. En 2003, pendant les manifestations contre la loi Fillon, j’ai eu une pleurésie. Le diagnostic n’a pas été posé tout de suite. On m’a fait des biopsies. Je suis allée d’abord à l’Hôtel Dieu, puis à Curie.
Et puis j’ai su que j’avais un mésothéliome. Curieusement, cela ne m’a pas paniquée. J’étais sans doute inconsciente. Je savais que cette maladie était une « saloperie », mais je savais qu’à Curie la prise en charge de la maladie serait la meilleure possible.
Ma cancérologue était alors une petite femme de 40 ans, avec qui le courant est tout de suite passé. Elle m’a déconseillé d’aller regarder ma maladie sur Internet. Je me suis tout de suite sentie en confiance avec elle.
Comment se passe votre traitement ?
Jean : Mon mésothéliome avait été détecté à un stade précoce (1 A). J’ai suivi un protocole expérimental avec un traitement très lourd. Les séances duraient six heures. Les aides-soignantes me réservaient toujours la même chambre au bout du couloir. Après les séances je revenais tout seul le soir en voiture. Cela s’est bien passé, sauf une fois où ça s’est très mal passé… J’avais des montées en température jusqu’à 40.
Le protocole a fonctionné. Après le traitement, j’ai continué les contrôles, d’abord tous les six mois, puis tous les ans, puis tous les deux ans. Ma rémission dure depuis près de vingt ans.J’ai rencontré des gens formidables dans le personnel hospitalier. Ils m’ont sauvé la vie.
Claude : J’ai un traitement à base d’Alimta, avec une ou deux séances de chimiothérapie toutes les trois semaines, pendant plusieurs mois. Après chaque chimio, il me faut deux jours pour m’en remettre.
Quand une série de chimios est terminée, j’ai un répit qui peut durer de quelques mois à un an. Et puis je reprends le traitement. J’ai passé plusieurs Noëls à l’hôpital. Cela dure comme cela depuis dix ans…
Récemment, l’Alimta a cessé de faire de l’effet et mon traitement a dû être modifié. J’ai fait une intolérance aigüe à l’un des produits. Je suis tombée en syncope. J’ai bien cru que je n’allais pas m’en sortir. Le produit a été supprimé du protocole. J’ai perdu ma mère qui vient de mourir centenaire. J’ai eu une angine qui a interrompu la chimio. Après une baisse de forme, je commence à remonter la pente. Je repasse un scanner en janvier.
Comment vivez-vous votre maladie ?
Jean : Tous les gens ne sont pas égaux devant la maladie. Je suis quelqu’un d’actif. Je participe à de des associations sur toutes sortes de sujets. Je n’ai pas un tempérament à me laisser aller.
Cette énergie m’a aidé à faire face, mais elle m’a aussi posé des problèmes. Le pneumologue m’avait recommandé d’être attentif aux signes avant-coureurs d’une éventuelle rechute : une transpiration excessive, une perte de poids… J’ai réagi à ma façon : dès que je perdais 20 grammes, je mangeais pour en reprendre 200 ! Je pèse aujourd’hui 120 kilos et mon surpoids a provoqué des fragilités des hanches et des genoux, qui m’obligent à utiliser un fauteuil roulant pour me déplacer.
Claude : J’étais une militante syndicale. Je suis devenue une militante « anti-méso ». J’essaie d’avoir une attitude active face à ma maladie. Je fais ce que me disent les médecins, je m’accroche. C’est la seule façon dont je peux les aider à combattre cette maladie que j’appelle ma « sarkozyte » (pour exprimer tout le mal que je pense d’elle). C’est aussi ce qui m’a permis, pendant dix ans de soutenir et d’accompagner ma mère.
Quelles sont vos relations avec le corps médical ?
Jean : J’ai toujours essayé de ne pas être un malade « chiant  ». Je ne suis pas de ceux qui râlent contre la nourriture de l’hôpital. La lourdeur de mon traitement ne m’a jamais empêché de blaguer avec les infirmières à qui je disais : « s’il me reste un an à vivre, ce n’est pas la peine que j’emmerde tout le monde », ou «  si je m’en vais, ce sera de la poitrine, pas de la tête »…
L’humour est-il une arme contre la maladie ?
Jean : Bien sûr. J’écris en ce moment un livre sur ma vie. J’y raconte des anecdotes. Un jour par exemple, j’ai demandé à la secrétaire médicale des nouvelles d’un pneumologue. Elle m’a répondu : « Il est mort d’un cancer du poumon. Il fumait plus de deux paquets de cigarettes par jour… » C’est lui qui m’avait annoncé que j’en avais pour douze mois !
Quelles qualités appréciez-vous chez un soignant ?
Claude : Ma cancérologue accorde une grande importance au traitement de la douleur. Elle est précise, méthodique. A chaque consultation, elle regarde mes clichés, vérifie mes constantes et me pose une batterie de questions pour cerner mon état de santé.
J’apprécie son contact humain, son souci de m’informer, de m’expliquer, sa capacité à avoir avec moi des rapports sur un pied d’égalité. Mon avis est pris en compte. Je suis actrice de ma maladie. C’est un travail à deux.
J’apprécie aussi son souci d’informer régulièrement mon généraliste, ma gynéco, mon acupunctrice (qui travaille à atténuer les effets du traitement). C’est un travail en groupe basé sur une relation de respect avec les autres médecins.
Quelle différence avec la consultation que j’ai vécue chez un grand ponte ! Je me souviens qu’il ne m’avait posé aucune question ni auscultée ; il avait passé son temps à lire les informations dans l’ordinateur sans se lever de son siège !
Jean : J’ai une grande confiance dans la pneumologue qui me suit pour les examens de contrôle.
Cela dit, je suis très vigilant par rapport au pouvoir médical. Je ne me laisse pas impressionner. Je peux comprendre qu’il y ait des dysfonctionnements, mais j’estime que mon rôle en tant que patient est de les signaler. Pour mon opération de la hanche, j’ai passé quatre mois et demi à l’hôpital suite à trois erreurs médicales. Le chirurgien n’est même pas venu s’excuser. Je l’ai accroché un jour quand il mettait le nez dans ma chambre. Je lui ai dit : « Je ne porte pas plainte pour cette fois, mais je ne veux pas que cela se reproduise ». Avec les médecins, je joue carte sur table.
Des chercheurs ont-ils étudié les raisons de votre longévité ?
Claude : Non, mais nous, nous aimerions bien savoir où en sont les recherches sur le mésothéliome.
Pourquoi, lorsque deux personnes respirent les mêmes fibres, l’une tombe malade et l’autre pas ? Pourquoi, lorsque deux personnes sont malades, l’une vit plus longtemps que l’autre ? Quelles sont les avancées sur la compréhension du mésothéliome et l’effet des traitements ? Ces questions nous concernent. Nous voudrions être informés, savoir s’il y a des avancées.
Quels ont été les effets de la maladie sur votre famille ?
Claude : Ma mère avait accepté ma maladie.
Je vis seule. J’ai trois grands enfants, qui ont dépassé la quarantaine. Ils vivent leur vie. Je leur fiche la paix. En les informant de ma maladie, j’ai dit : « La vie continue »…
La maladie a resserré le cercle familial. Ils s’inquiètent pour moi. Ils demandent de mes nouvelles, Mes petits-enfants me téléphonent : « Comment vas-tu, Mère-Grand ? »
Jean : Mes parents se sont séparés. J’ai perdu ma mère à l’âge de 15 ans. Avec le temps, les rapports entre mon père et moi sont devenus ceux de deux copains. A l’annonce de ma maladie, il n’a pas trop mal réagi. Il m’a fait confiance.
Jacqueline, mon épouse, m’a apporté un soutien formidable, et j’ai eu le bonheur d’adopter Xu, une jeune chinoise de 17 ans que le destin a mis sur ma route, le 6 juin 2003, au sortir d’un tournoi de scrabble. J’ai aujourd’hui le bonheur d’être grand-père.
Comment avez-vous connu l’association ?
Jean : J’ai rencontré Henri Pézerat au Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN). L’Andeva n’existait pas encore. Nous avons déjeuné ensemble. Il m’a dit qu’une association nationale était en cours de création. J’ai été élu au conseil d’administration de l’Andeva dont je fais encore partie aujourd’hui. A cette époque j’ai déposé un dossier au pénal qui a été classé sans suite, ce que je regrette.
Claude : J’avais une longue pratique militante comme déléguée syndicale. Pour moi, l’engagement associatif a prolongé l’engagement syndical. J’ai été aidée par Marie-José Voisin et les militants de Jussieu. J’ai apprécié la qualité des informations qu’ils me donnaient, leurs compétences, leur présence à mes côtés.
J’ai adhéré à l’Addeva 93. Je suis membre du conseil d’administration. Cet engagement dans une association a élargi mes vues.
Quand j’étais prof, il n’y avait pas de CHSCT, la santé au travail n’était pas au centre de nos préoccupations.
J’ai appris beaucoup de choses dans ce domaine..
Que représente pour vous l’action de l’Andeva ?
Jean : Je l’ai vue grandir. Avec 28 000 adhérents elle est aujourd’hui devenue un outil fantastique pour les victimes de l’amiante. C’est à elle qu’on doit la création du Fiva et de l’Acaata. Elle a acquis une « puissance de feu » considérable. Les associations locales, l’équipe de Vincennes, le bureau et le CA font un travail monumental.
Avec mon amie Suzanne Dianoux, j’ai régulièrement participé aux marches des veuves de Dunkerque autour du Palais de Justice. C’était un mouvement extraordinaire. Il a pris aujourd’hui une dimension internationale.
Claude : J’apprécie l’efficacité de l’Andeva et de ses animateurs. J’ai été impressionnée par tout ce qui s’est passé autour du procès de Turin. Beaucoup de personnes compétentes, intellectuels ou juristes par exemple, saluent son action. Malheureusement trop peu s’engagent.
A 74 et 82 ans, vous continuez à être actifs…
Claude : Je ne sais pas rester sans rien faire. J’ai toujours aimé peindre. Je continue à le faire pour mon plaisir. J’aime faire des activités manuelles comme du patchwork. Quand il y a une panne, j’essaie d’abord de réparer moi-même. Mon père disait toujours que j’étais une « bricoleuse ». J’essaie aussi de participer à la vie de mon quartier. Cela m’intéresse.
J’ai passé aussi beaucoup de temps à m’occuper de ma mère Jean : Je participe à une vingtaine d’associations : l’Andeva, le Gsien, l’Apf (Association des paralysés de France), Greenpeace, ATD Quart Monde, Amnesty International, Handicap international, Valentin-Haüy. J’ai créé une association de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme. Le premier des droits de l’Homme, c’est de savoir lire et écrire. J’ai aussi participé à la création de l’association pour « Vivre et vieillir en citoyens » (Avvec). J’ai fait des animations dans les maisons de retraite. Je fais des tournois de scrabble. J’avais essayé de suivre une formation de clown. J’ai renoncé, mais je garde dans ma poche un gros nez rouge, qui fait rire les petits enfants.
L’astronomie est pour moi une passion. J’étais membre d’un club. J’ai fait des animations pour des adultes et dans les écoles. La terre est à 150 millions de kilomètres du soleil. Si elle avait été plus près ou plus loin, plus grosse ou plus petite, il n’y aurait pas eu d’atmosphère donc pas de vie. Quand on vit, il n’y a donc pas l’ombre d’une seconde à perdre…

DANIEL (Addeva 93) : "Sur ma pathologie, je voudrais en savoir autant qu'un médecin"

J’ai été diagnostiqué « mésothéliome pleural » fin Septembre 2012, cela fait plus de 3 ans que je traîne cette maladie et j’espère bien que cela va trainer encore longtemps…

– J’espère que cela va traîner car j’ai vraiment envie de vivre encore longtemps la vie que je vis avec ma femme. Depuis le diagnostic, elle me soutient et m’aide à accepter ce qui nous arrive, à le rendre supportable. Chaque jour qui passe est un jour gagné sur la maladie, un jour qui nous rend heureux de l’avoir vécu.

– J’espère que cela va trainer, ne serait ce que pour toucher le plus longtemps possible mes indemnités. J’estime qu’elles sont dérisoires en regard des souffrances endurées par moi-même et par mes proches. Qu’on efface les souffrances, qu’on me rende la santé, et je rendrai toutes les indemnités.

A l’annonce du diagnostic, j’ai éprouvé deux sentiments :

– un sentiment d’urgence .Je vais mourir bientôt et j’ai plein de choses importantes à faire avant : régler ma situation administrative avant mon décès pour que ma femme n’ait pas à s’en occuper après. De fait, il a fallu plus de 2 ans et 2 commissions de réforme pour que mon cancer soit reconnu en « maladie professionnelle ». L’aide de l’ADDEVA 93 m’a été indispensable pour y parvenir. J’ai eu durant tout ce temps une impression de course contre la montre. Je pensais que ce sentiment d’urgence allait se dissiper avec le temps, mais il perdure au quotidien. Chaque projet, recevoir des amis, témoigner sur le mésothéliome, partir en vacances, est une étape, un pari à gagner, un pari pour la vie.

– J’ai ressenti aussi un sentiment de froide colère rentrée. Quels sont les maffieux qui m’ont rendu cancéreux ? Et pourquoi ? Pour du profit ! Si j’étais le seul ce serait déjà scandaleux, mais combien sommes-nous dans le monde à être victimes de cette pègre ? Je ressens une injustice insupportable en pensant que nos empoisonneurs jouissent paisiblement de leur crime. Cette froide colère m’accompagne, ne me quitte pas, et je crois qu’elle est indispensable à ma survie.

Depuis le diagnostic j’ai reçu des soins. Je sais que je suis bien soigné. J’ai la chance :
– de ne pas être constamment en chimiothérapie,
– de vivre encore plus de 3 ans après,
– de ne pas être né 50 ans plus tôt et de pouvoir profiter des progrès de la médecine,
– de ne pas être né en Afrique,
– d’avoir accès aux soins grâce à la Sécurité sociale, ce qui ne sera peut être pas le cas pour mes enfants.

Je suis bien soigné, et pourtant j’ai le sentiment qu’il faudrait en faire plus. C’est un sentiment diffus, que j’ai du mal à exprimer.

Quand j’émets des réserves mon médecin généraliste est perplexe : « mais vous êtes soigné à l’hôpital FOCH, et à l’IGR ! On ne peut pas faire mieux… ».

Quand je lui dis que je ne suis pas médecin, mais que, sur ma pathologie, je voudrais en savoir autant qu’un médecin. Il est perplexe : « mais qu’est-ce que ça peut vous faire puisque vous êtes bien soigné ! » Eh bien ça me fait ! J’ai l’impression que cela m’aiderait à vivre mieux ma maladie, à comprendre ce qui m’arrive, à ne plus subir passivement les soins, avec l’impression de n’avoir aucune prise personnelle sur ma maladie, alors que je désire être actif, adhérer à mon traitement plutôt que le subir. Je crois que cela m’aiderait à vivre mieux sans avoir le sentiment d’être un simple paquet.

Je parle aussi de ma toux avec mon généraliste. Une vieille toux explosive qui m’accompagne depuis des années, avec des paroxysmes de jour et de nuit, et parfois de brèves accalmies, elle me secoue les côtes, me donne mal à la tête, m’arrache les yeux et me colle les tympans. Lorsque je m’en plains, il me répond : « mais c’est normal, avec ce que vous avez … » Il n’empêche que – même si c’est normal – je voudrais bien en être débarrassé.

Le médecin qui me suit à l’hôpital Foch est très disponible, et en empathie. Mais j’ai l’impression qu’il en sait plus que moi sur mon état et je lui tends des pièges pour essayer d’accéder à son insu à son savoir. Peut-être y a-t-il aussi chez moi un barrage inconscient qui bloque ma compréhension des informations que je reçois. La première fois, quand le médecin m’a montré les images de mon scanner, j’ai interprété tous les petits ovales blancs que je voyais sur l’écran comme des tumeurs alors qu’il s’agissait de mes côtes, vues en coupe. Aujourd’hui, plus de 3 ans après, je suis toujours incapable de lire mon scanner et j’ai l’impression de ne rien savoir sur ce qui m’arrive.

Mon périple médical a d’ailleurs commencé par un scanner. J’attendais le résultat. Le radiologue a fait irruption dans la salle d’attente et m’a envoyé aussitôt aux urgences de l’hôpital FOCH où j’ai appris que je faisais une embolie pulmonaire bilatérale. J’ai passé 10 jours « au lit strict » en attendant que les anti-coagulant fassent effet. C’était fin Février 2012.

En juillet je toussais toujours, le pneumologue m’a prescrit un PET SCAN, puis une exploration en septembre. J’y suis allé sans préjugé. Je ne m’attendais pas à souffrir autant. Les échantillons sont partis chez les experts du groupe Mésopath de Caen. Le diagnostic est tombé : mésothéliome pleural. J’ai consulté sur Internet « doctissimo », « wikipedia » et autres sites. J’ai lu que le mésothéliome est un cancer rare et très douloureux, avec une mediane de survie de 9 à 12 mois. J’ai fermé l’ordinateur, j’ai songé à rédiger mes « directives anticipées » et fait un comparatif des offres de pompes funèbres.

En Octobre, j’ai subi une radiothérapie à l’endroit des incisions pour l’exploration, et deux interventions : l’une pour implanter une chambre d’injection, l’autre pour extraire l’épanchement pleural. Tout cela m’a littéralement labouré le thorax.

Puis ce fut ma première chimiothérapie : ALIMTA/CARBO PLATINE. J’en garde le souvenir d’une surexcitation insupportable, d’une difficulté à me nourrir à cause des aphtes qui rendaient chaque déglutition douloureuse. Ensuite, je suis resté 6 mois sans traitement. C’était inespéré. Ma femme et moi, nous sommes partis de la consultation de l’hôpital avec la bonne nouvelle, comme de collégiens partent en récréation. En rentrant de vacances, le scanner n’était pas bon, il fallait reprendre le traitement, à nouveau ALIMTA/CARBO PLATINE. Cette chimio ne répondait plus, il fallait en changer et passer à la NAVELBINE qui, elle aussi, ne répondait pas.

On m’a alors proposé de rentrer comme volontaire dans un essai clinique intitulé MEDIMMUNE, en l’immunothérapie, qui se tenait avec l’IGR en tant que centre expert. J’ai accepté avec enthousiasme. Avant l’inclusion dans l’essai clinique J’ai signé très rapidement sur le bureau du médecin investigateur le « consentement éclairé », un document de 37 pages. Revenu à la maison, le l’ai étudié attentivement avec ma femme et je n’ai pas remis ma signature en question.

A l’IGR devant la foule des patients dans les salles d’attente, j’ai compris la vraie valeur du mot « patient » quand on est malade. Il me reste si peu de temps à vivre, et ce temps je le perds à attendre. J’aurais aussi souhaité une meilleure coordination entre l’IGR l’hôpital FOCH.

A l’IGR mes relations avec le médecin investigateur et son infirmière attachée de recherche ont été excellentes. Mais l’infirmière s’est étonnée quand je lui ai demandé s’il était possible de rencontrer d’autres volontaires de l’essai clinique qui en exprimeraient le souhait, pour échanger sur notre vécu et nous soutenir mutuellement. Cela n’a pas été possible. Des structures comme « l’espace de rencontre et d’information », le « comité de patient » ou la « coordination des relations patients » ne me convenaient pas vraiment. Je désirais une intervention précise sur la question de l’amiante. Je crois que les pathologies de l’amiante ont une spécificité qui nourrit une cohésion entre les victimes qui en sont atteintes et leurs proches. Un jour, en sortant d’une prise de sang au laboratoire, je pestais à haute voix contre les difficultés pour faire reconnaître ma maladie professionnelle. La Directrice est sortie de son bureau et m’a dit : « je vous comprends : mon père est décédé il y a 3 ans d’un mésothéliome ». C’est une véritable communauté qu’il faudrait constituer entre ceux qui partagent le même vécu.

Pour l’essai clinique, j’ai reçu 3 injections sur 6 de TREMELIMUMAB. La première s’est bien passée. La seconde fut invivable : je fus assailli par un prurit de jour et surtout de nuit m’empêchant de dormir. La troisième fut encore pire, avec une diarrhée apocalyptique. Il a fallu arrêter car je risquais une péritonite due aux effets secondaires.

A la dernière consultation à l’IGR le médecin m’a prescrit du PREDNISOLONE pour « nettoyer tout ça ». L’ordonnance énonce bien que je dois arrêter progressivement le traitement. Mais, à cette période, je saturais des prises médicamenteuses. Dès que les douleurs ont cessé et que je me suis senti mieux, j’ai stoppé inconsidérément le traitement. Résultat : mes surrénales ne fonctionnent plus, je suis sans doute abonné quotidiennement à l’ HYDROCORTISONE pour le reste de ma vie.

J’ai été exclu de cet essai clinique le 29 décembre 2014. Plus d’un an a passé, et je suis sans traitement. Sans traitement contre le cancer ne veut pas dire sans médicaments : j’ai une piqure d’INNOHEP quotidienne, et 30 mg en 3 fois d’HYDROCORTISONE par jour. Sans traitement ne veut pas dire non plus sans anxiété, sans anxiété que progresse la maladie, sans anxiété que reprennent les chimiothérapies.

Plus d’un an a passé. Je n’ai reçu qu’un appel téléphonique d’une personne de l’IGR que je ne connaissais pas, au sujet du suivi des volontaires. C’est tout. Je n’ai aucune nouvelle de l’évolution, et des progrès de l’essai clinique MEDIMMUNE. Cette situation me donne l’impression d’être un rat, un rat que l’on sort de sa cage, et que l’on remet dedans.

Je suis adhérent de l’ADDEVA 93. Je suis intervenu en tant que représentant de mon association auprès de l’IGR, durant mon parcours de soins, pour formuler des propositions. Nous avons proposé une réunion de travail entre les responsables du centre expert MESOCLIN et les associations de victimes de l’amiante en Ile -de-France. Nous souhaitions aussi proposer aux patients engagés dans l’essai clinique MEDIMUNNE une rencontre s’ils la souhaitaient. Notre lettre a été envoyée en janvier 2015. Elle est toujours sans réponse.

Je viens de témoigner, longuement, de mon vécu. Je voudrais aussi parler de l’insuffisance de mon savoir sur ma maladie et de ma maîtrise des thérapies.

Mon savoir est parcellaire et expérimental. Je pense que des rencontre entre patients vivant les mêmes situations seraient très enrichissantes, et participeraient à leur éducation thérapeutique. Je pense que les patients victimes d’une pathologie de l’amiante, sont des cancéreux spécifiques, car ils ont presque toujours été contaminés dans leur travail et exposés sciemment mais à leur insu. Ma maîtrise des thérapies, je la ressens comme nulle. Je n’ai aucune idée de ce que peut être l’arsenal thérapeutique. Ce ne serait sans doute pas le cas s’il y avait des rencontres entre patients.

Pour finir, je voudrais citer Jean Genêt : « nous n’avions pas fini de nous parler d’amour, nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes » écrit-il dans le poème intitulé « le condamné à mort ». Ce poème me parle et me donne envie de prolonger la partie.

Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui participer à cette rencontre. Mon témoignage est bien sûr porteur d’une vérité subjective et individuelle. Mais j’espère qu’il pourra contribuer à une meilleure une compréhension et une meilleure approche du vécu et des souhaits des malades qui ont un MESOTHELIOME PLEURAL.

LUCIENNE : "J'ai 80 ans ; j'étais à la manifestation à Saint-Quentin

Lucienne et Jacques sont montés ensemble dans le car de l’Addeva 93 pour Saint-Quentin. Lucienne a perdu le 10 janvier 2012 son premier mari d’une asbestose. Jacques a des plaques pleurales, ils s’aiment. Ils ont 159 ans à eux deux.

Ils n’auraient manqué cette manifestation pour rien au monde.

Lucienne se souvient : « J’ai eu 80 ans au mois de mai. Michel, mon mari était peintre décorateur. Il a travaillé dans la marine, sur le Foch, le Clemenceau, la Jeanne d’Arc…

Il y avait de l’amiante partout dans ces bateaux. Aujourd’hui encore, ceux qui les démolissent ont des problèmes avec l’amiante.

Si je suis venue à cette manifestation, c’est d’abord pour aider les autres. Beaucoup de gens ne connaissent pas ces maladies. Moi, je sais comment l’amiante peut handicaper quelqu’un.

J’ai vu mon mari décliner petit à petit, je l’ai accompagné pendant quinze ans. Il était accroché à ses bouteilles d’oxygène. Il ne pouvait pas bouger. Dès que je le quittais pour aller faire une course, je craignais toujours qu’il ait une crise et qu’il s’étouffe.

J’avais hâte de rentrer. Il était attaché à ses tuyaux et à ses bouteilles d’oxygène, et moi j’étais attachée à lui. Je ne pouvais pas m’éloigner.

A la fin il n’avait plus d’oxygène du tout dans les poumons. On lui a fait une trachéotomie.

A l‘époque on ne parlait pas des dangers de l’amiante.

On parlait surtout des dangers de la peinture au plomb.

Il travaillait sans masque. Un jour, j’étais dans le bureau du patron. Un chef d’équipe est venu réclamer une cinquantaine de masques, parce que ce jour-là il y avait un contrôle. Les autres jours les masques restaient dans les placards. Il est décédé à 59 ans. Il n’a pas gagné sa retraite.

J’ai apprécié cette manifestation. Il y avait beaucoup de monde. Elle était bien organisée. J’espère que nous obtiendrons quel-que chose pour les ouvriers. »

S’il y a d’autres manifestations, Lucienne et Jacques reviendront : « Il faut s’entr’aider les uns les autres »

 

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