20 juin 2019 : 732 mineurs exposés à divers cancérogènes réclament le préjudice d’anxiété

Les enjeux

Par un arrêt du 5 avril, la Cour de cassation avait élargi le champ d’application du préjudice d’anxiété à tous les travailleurs exposés à l’amiante ayant un risque important de développer une maladie grave, que leur établissement soit ou non inscrit sur les listes ouvrant droit à la « préretraite amiante »

Ouvrira-t-elle ce droit aux personnes exposées à d’autres cancérogènes que l’amiante. C’était tout l’objet de ce débat judiciaire. 

 

Les multi-expositions des mineurs lorrains

Dans le dossier de presse présenté par le collectif des syndicats et associations de victimes, un tableau statistique compare l’incidence de divers cancers diagnostiqués parmi les 732 plaignants avec celle des hommes de 55 à 75 ans dans la population masculine.

Chacun de ces mineurs a :

– 62 fois plus de risque de contracter une maladie liée à l’amiante,

– 146 fois plus de risque de contracter une leucémie,

– 1700 fois plus de risque de contracter un cancer du rein,

– de 3300 à 4400 plus de risque d’avoir un cancer de la peau.

Devant la Cour de cassation, Maître Manuela Grévy a rappelé qu’il y avait eu dans les Houillères « au moins 150.000 morts depuis 1945, dont 100.000 imputables aux seules maladies respiratoires. En 2004 encore, il y avait plus de 500 décès par an. Entre 3000 et 4000 fautes inexcusables ont été gagnées contre les Houillères.

En 2013, lorsque 745 mineurs exposés à de multiples cancérogènes avaient engagé cette action aux prud’hommes, il n’y avait parmi eux aucun malade.  Aujourd’hui 41 d’entre eux sont décédés et l’on compte dans cette cohorte 231 maladies professionnelles reconnues dont 113 dues à l’amiante et 90 à la silice !

 (…). Ceux qui sont là aujourd’hui sont des survivants, ils vous demandent de les écouter ». L’avocate a dénonce les « manquements à la sécurité » des Houillères où « le port du masque n’a jamais été obligatoire ». Elle évoque les multiples cancérogènes utilisés : les huiles de houille, la créosote, les huiles de coupe, le formaldéhyde, les rayonnements ionisants, le benzène… « Les mineurs n’avaient qu’un seul et même couteau pour couper les joints en amiante et pour couper leur casse-croûte. En 1981, alors que la réglementation prévoyait entre 0,5 et une fibre par litre, on dénombrait sur les postes de travail entre 1400 et 107 000 fibres par litre. Ce n’est qu’en 2005 que les mineurs ont eu connaissance de ces masures. Il n’y avait aucun masque agréé avant 1996. « 

« La Cour d’appel de Metz a estimé que les Houillères n’avaient jamais failli à leur obligation de sécurité. Elle a balayé l’ensemble des preuves. Elle a considéré que des milliers de condamnations en faute inexcusable de l’employeur ne constituaient pas une preuve de l’exposition individuelle de chaque salarié. Mais les Houillères n’ont jamais démontré qu’elles avaient pris des mesures de protection pour chacun des plaignants. Le port du masque n’a jamais été obligatoire. Le taux de couverture des masques a été de 25% en 1991 et de 37% en 1996.

On nous dira sans doute que ces questions relèvent de la souveraineté des juges du fond, Mais cette appréciation n’est pas sans limites. On ne peut pas dire que ces maladies professionnelles relèvent de la fatalité. Ils sont le résultat d’une organisation du travail et d’une course au rendement, qui sont en contradiction avec l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur. »

 

La position de l’avocate générale

L’avocate générale se prononce pour l’élargissement du préjudice d’anxiété : « rien ne me paraît justifier que la même action, visant à réparer le même préjudice, soit interdite à des travailleurs exposés, dans les mêmes conditions à une autre substance ». Mais elle considère que les éléments de fait (nature de l’exposition, importance des risques pour la santé, réalité de l’anxiété)  relèvent du « pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond » et non de la cour de cassation.

Elle juge que les magistrats de la cour d’appel de Metz ont exercé ce pouvoir en concluant à l’absence de violation des obligations de sécurité de l’employeur. 

Elle soutient qu’il n’y a pas lieu de casser leur décision, « même si cet arrêt n’est pas rédigé d’une façon aussi rigoureuse qu’on pourrait le souhaiter ».

Le verdict sera rendu le 11 septembre.

A la même audience étaient plaidés des dossiers de travailleurs exposés à la SNCF de Marseille et à la SNCM, dont l’établissement n’est pas inscrits sur les listes ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité « amiante ». L’arrêt de la cour de cassation le 5 avril devrait permettre de prendre en compte leur préjudice d’anxiété.
C’est le cas des cheminots de Marseille et de la SNCM, pour lesquels l’avocate générale prend une position favorable.

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